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Une rentrée sous haute tension

La centralité retrouvée de l'Assemblée générale de l'ONU dans les débats de politique internationale

Franck Petiteville

Franck Petiteville est professeur de science politique, Sciences Po Grenoble, Université Grenoble-Alpes, PACTE

La 77ème session annuelle de l’Assemblée générale de l’ONU s’est ouverte le 20 septembre après deux ans de séances organisées à distance pour raison de pandémie. Jusqu’au 26 septembre inclus, les représentants des 193 Etats membres de l’ONU prennent la parole à tour de rôle (à raison d’une bonne trentaine par jour). 157 chefs d’Etat et de gouvernement ont fait le déplacement à New York pour venir s’exprimer à la tribune, une trentaine d’autres se faisant représenter par leurs ministres des Affaires étrangères et leurs ambassadeurs. Ni Vladimir Poutine, ni Xi Jinping, ni Narendra Modi ne sont venus participer à cette session (ils se sont rencontrés en revanche le 15 septembre, avec leurs homologues iraniens et turcs notamment, en Ouzbékistan, dans le cadre de l’Organisation de Coopération de Shanghai, autour de postures assez anti-occidentales).

Comme prélude aux débats généraux de cette 77e session, un sommet sur la transformation de l’éducation s’est tenu entre le 16 et le 19 septembre. D’autres enjeux relatifs à l’insécurité alimentaire, à la préparation du sommet de 2023 sur les Objectifs de Développement Durable ou encore au droit des minorités ont été mis à l’agenda. Une fois le débat général clos le 26 septembre, les diplomates vont se mettre au travail pour des mois, l’Assemblée générale adoptant en moyenne environ 300 résolutions chaque année sur tous les enjeux de politique internationale.

Les débats de ces derniers jours ont en grande partie été dominés par la guerre en Ukraine. Le 20 septembre, le Secrétaire général, Antonio Guterres a déclaré que « les clivages géopolitiques sapent le travail du Conseil de sécurité, sapent le droit international ». S’exprimant le 20 septembre, Emmanuel Macron a, lui, fustigé un « retour à l’âge des impérialismes et des colonies », et stigmatisé la Russie pour avoir « rompu notre sécurité collective ». Il a aussi pointé du doigt la responsabilité des Etats qui refusent de prendre parti dans ce conflit et qui ne font, selon lui, que « mimer le combat des non-alignés ».

S’exprimant à son tour le 21 septembre, Joe Biden a dénoncé une guerre dont le but est « d’annuler le droit de l’Ukraine à exister en tant qu’État » et « le droit des Ukrainiens à exister comme peuple ». S’exprimant devant les membres de l’Assemblée le même jour par un message enregistré depuis Kiev finalement autorisé par les Etats membres, Volodymyr Zelensky a déclaré : « Un crime a été commis contre l’Ukraine et nous réclamons un juste châtiment : châtiment pour avoir essayé de voler notre territoire, châtiment pour les meurtres de milliers de personnes, châtiment pour la torture et l’humiliation des femmes et des hommes ». Il a justifié les sanctions à l’encontre de la Russie, exigé le rétablissement de l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues, ainsi que le versement de réparations pour les dommages causés par la guerre.  Evoquant l’exhumation récente de 445 tombes de civils et soldats ukrainiens tués (pour certains torturés et mutilés) à Izioum, il s’est à nouveau prononcé en faveur de la création d’un tribunal spécial pour juger les crimes commis par l’armée russe. Il a enfin assimilé la volonté de neutralité de certains Etats dans le monde à une forme d’« indifférence » pour la souffrance du peuple ukrainien.

La guerre en Ukraine a ainsi de nouveau braqué les projecteurs mondiaux sur l’Assemblée générale de l’ONU, alors que le Conseil de sécurité a été paralysé, dès le 25 février, par un veto russe. Depuis, le Conseil a certes pu auditionner Zélensky par visioconférence à deux reprises, ainsi que le directeur de l’AIEA, Rafael Grossi, le 11 août, à propos de la situation de la centrale nucléaire de Zaporijia. Pour le reste, c’est l’Assemblée générale qui s’est mobilisée dès le mois de mars pour condamner l’agression russe (résolution adoptée par 141 voix le 2 mars), pour dénoncer « les attaques aveugles et disproportionnées » de l’armée russe (résolution également adoptée par 140 voix le 24 mars), pour exclure la Russie du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (résolution adoptée par 93 voix le 7 avril), et pour décider d’organiser un débat en son sein à chaque fois qu’un veto sera utilisé au Conseil de sécurité (résolution du 26 avril).

Cette situation de « dédoublement fonctionnel » entre le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale était déjà observable lors de la pandémie de Covid en 2020. Alors que l’Assemblée générale appelait dès le printemps 2020 à la « solidarité mondiale » dans la lutte contre la pandémie (2 avril 2020) et demandait un « accès équitable » aux vaccins (20 avril), il avait fallu attendre le 1er juillet 2020 pour que le Conseil de sécurité parvienne à adopter une résolution appelant simplement à une « cessation des hostilités » dans les pays en guerre pour ne pas ajouter la violence militaire aux dégâts humains provoqués par la pandémie. Piégé par le veto irresponsable de certains de ses membres, le Conseil de sécurité décline, rendant ainsi à l’Assemblée générale une forme de centralité dans le système onusien.

Le 26 septembre, l’Assemblée générale tient une réunion plénière consacrée à la célébration de la « journée internationale pour l’élimination totale des armes nucléaires ». Mobilisée depuis toujours contre l’arme nucléaire, l’Assemblée s’était distinguée en 2017 en adoptant le Traité d’interdiction des armes nucléaires (boycotté par les puissances nucléaires mais néanmoins entré en vigueur en janvier 2021). Alors que Poutine réitère à nouveau ses menaces nucléaires, la mobilisation de l’Assemblée générale de l’ONU sur cet enjeu n’a jamais paru aussi nécessaire.

 

Pour citer ce document :
Franck Petiteville, "Une rentrée sous haute tension. La centralité retrouvée de l'Assemblée générale de l'ONU dans les débats de politique internationale". Décryptage de l'actualité [en ligne], 28.09.2022, https://observatoire-multilateralisme.fr/publications/une-rentree-sous-haute-tension/