Couverture de l’ouvrage: Kathryn C. Lavelle, The challenges of multilateralism, New Haven, Yale University Press, 2020.
Compte rendu de l'ouvrage de Kathryn C. Lavelle
Laure Excoffon est étudiante en M2 Relations Internationales, Paris Panthéon-Assas
Kathryn C. Lavelle, The challenges of multilateralism, New Haven, Yale University Press, 2020.
Dans un contexte de recul du multilatéralisme et de fatalisme sur son avenir, l’ouvrage de Kathryn C. Lavelle intitulé The Challenges of Multilateralism est un retour bienvenu sur un peu plus de deux siècles d’histoire. Spécialisée en Relations internationales et en économie politique de la finance, cette professeure de la Case Western Reserve University se concentre actuellement sur la gouvernance dans les affaires mondiales.
Elle signe ici son quatrième livre, le plus généraliste. Cette première édition par Yale University Press a déjà été recensée dans la revue Foreign Affairs, mais n’a pas encore été traduite.
L’autrice a fait le choix d’une organisation globalement chronologique, utile pour l’introduction au sujet que ce livre a pour objectif d’être. Si ce choix entraîne parfois quelques discontinuités dans le propos, il n’en demeure pas moins utile au raisonnement développé dans l’ouvrage, qui donne les éléments-clefs de la construction du multilatéralisme afin de pouvoir aborder avec un œil plus alerte les questions contemporaines.
Lavelle n’est pas la première à traiter du sujet (on peut notamment penser à l’excellent ouvrage de 2007 dirigé par Bertrand Badie et Guillaume Devin, Le multilatéralisme – Nouvelles formes de l’action internationale), mais il y a une réelle utilité à remettre à jour de façon très régulière l’état de l’art dans une discipline grandissante. Les interprétations se meuvent à une vitesse vertigineuse et les éléments d’actualité poussent souvent au réexamen des analyses préexistantes.
En dix chapitres, Lavelle attribue à chaque étape de sa réflexion un grand thème, commençant par les premiers mouvements vers le multilatéralisme (Early Movements toward Multilateralism) jusqu’aux désaccords actuels sur la mondialisation (Dissents on Globalisation). Elle termine par un dixième chapitre de conclusion, dans lequel elle analyse le passé et le futur du multilatéralisme (The Past and Future of Multlateralism).
Tout au long du livre, l’autrice aborde en grands détails les acteurs de la mondialisation et leurs intérêts divergents. Elle fait évidemment mention des agissements des États-Unis comme déterminants de l’avenir des organisations auxquelles ils prennent part. De façon traditionnelle, elle souscrit (avec nuance) à l’analyse de l’échec de la Société des Nations tenant fortement de l’absence américaine. Toutefois, l’élément réellement remarquable de son approche des États-Unis est celle de la philanthropie privée qui y fleurit. Elle fait à moult reprises mention de la Rockefeller Foundation, fondée par l’entrepreneur éponyme, et de son influence sur les pouvoirs publics nationaux et internationaux. Cette influence s’exerce en effet à la fois sur son gouvernement de référence, les États-Unis, mais aussi en contournant ce même gouvernement et en compensant ses insuffisances. Dans le chapitre 6, Lavelle utilise l’exemple du département d’éducation médicale créé dans la fondation en 1910 pour aider des écoles médicales. Celles-ci étaient choisies pour leur placement stratégique à travers le monde. Alors que les questions de gouvernance médicale globale faisaient rage, la fondation a pris le problème à bras le corps pour pallier un besoin urgent. De même, la fondation Bill et Melinda Gates était en 2010 la source de sept pourcents de l’assistance mondiale au développement et le plus gros donneur volontaire à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). L’autrice cite également la fondation Clinton, fondée en 2001 par l’ancien président du même nom, qui se repose sur les contacts noués par celui-ci pour se tenir à la pointe de la lutte contre le VIH et le SIDA en agissant comme un intermédiaire entre les fabricants et les acheteurs de médicaments.
Le chapitre 8, très complet et portant sur la monnaie et la finance dans la nouvelle économie globale, illustre bien la qualité du raisonnement de Lavelle. Elle y analyse des éléments de l’économie réelle : le développement d’une finance de plus en plus tentaculaire et irresponsable (notamment la spéculation incontrôlée menée par des traders inexpérimentés dans les années 1970). Partant de ces éléments, elle décrit les influences privées et les décisions publiques poussant au développement d’une nouvelle forme de multilatéralisme, faisant passer la gouvernance économique mondiale d’un système de soft law à un système de hard law. Ce faisant, elle place une insistance particulière sur les impulsions des acteurs privés, qui mettaient en lumière une nécessité de régulation et d’organisation après avoir été confrontés à un risque.
Tout au long de l’ouvrage, le lecteur peut également saisir en filigrane l’inconstance des paramètres décisionnels et la lenteur du phénomène d’adaptation à ces paramètres pour les États et les organisations internationales, encourageant à une appréciation plus mesurée des phénomènes étudiés. Si l’on peut ressentir une frustration face aux délais de prise en compte des questions climatiques par exemple, ce livre a à cœur de nous rappeler les défis inhérents à la prise de décision interétatique, sujette à bien plus de contraintes, politiques et pratiques, que les autres acteurs, notamment privés.
Un autre avantage remarquable du livre est le panorama détaillé qu’il dresse des institutions multilatérales internationales. Le débutant appréciera l’histoire dressée des institutions à l’histoire un peu moins connue comme la Banque Mondiale ou l’UNCTAD (conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement). Dans ce panorama, l’autrice établit une distinction intéressante en fonction du degré de contrainte exercé. Allant au-delà de la très classique distinction soft law / hard law, elle insiste sur les différences entre types de réunions multilatérales. Elle souligne les implications du format choisi, entre concertation interétatique comme le concert des Nations (chapitre I), organisation de coopération de défense comme l’OTAN (chapitre 2) ou encore groupes informels de grandes économies comme les G8 et G20 (chapitre 8). En menant une approche nuancée des organisations, Lavelle conserve les détails de leur unicité, au détriment parfois de la clarté, le lecteur peu averti pouvant aisément se retrouver perdu dans la diversité des éléments abordés. Un tableau récapitulatif des organisations et de leurs principales caractéristiques aurait pu être le bienvenu. Il n’en reste pas moins que ce panorama illustre avec brio la fragmentation du monde multilatéral.
Le chapitre 9 mérite également une attention plus particulière en ce qu’il présente un état de l’art des tendances s’opposant au multilatéralisme, abordant tour à tour Donald Trump, les tenants de la démondialisation, la crise des réfugiés ou encore le Brexit. Il ne sombre toutefois pas dans l’apitoiement, restant très factuel et descriptif et analysant, peut-être de façon un peu superficielle, les tendances de fond qui ont culminé dans la remise en cause contemporaine du multilatéralisme. Cette concision reste toutefois louable, le sujet méritant à lui seul une parution.
Lavelle termine son ouvrage sur une touche d’optimisme, ajoutant dans son chapitre 10 que “les États continuent à essayer”. Après avoir résumé l’ensemble de son propos, elle reprend la notion de “G-Zero world” dans lequel de nouvelles coalitions peinent à émerger, ouvrant la voie à de nouveaux questionnements et des travaux ultérieurs.
Cet ouvrage est donc un travail très complet, dont l’accessibilité se fait parfois au détriment du détail. S’il aurait pu mériter quelques dizaines de pages supplémentaires, il reste une excellente introduction à la matière pour les débutants et non-spécialistes du multilatéralisme. Il balaie largement les thématiques et les époques et se fera certainement sa place comme lecture de cours. La bibliographie fournie, la chronologie et l’index en font un livre facile d’usage. En bref, ce livre sera très utile aux étudiants, et à tous les curieux des Relations internationales. I
Laure Excoffon, "The Challenges of Multilateralism. Compte rendu de l'ouvrage de Kathryn C. Lavelle". Journal du multilatéralisme, ISSN 2825-6107 [en ligne], 14.05.2022, https://observatoire-multilateralisme.fr/publications/the-challenges-of-multilateralism/