Publication - OI

Protéger l’environnement dans les conflits armés

Oil well fires, south of Kuwait City, 1991
LE 05.05.2022

Le travail réalisé par la Commission du droit international (2013-2019)

Tim Bosch

Tim Bosch est assistant de recherche au nouveau Centre pour le climat et la politique étrangère au sein de la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP). Il est titulaire d’une Licence en Relations Internationales de l’Université technique de Dresde et d’un Diplôme de Master de Sciences Po Paris – mention International Security.

Mots clés :  Article   Conflit   droit international   Environnement   soft law 

Au cours des dernières années, on observe un nouvel intérêt de la part des institutions internationales ainsi que des États pour les répercussions environnementales multiples et complexes des conflits armés. Ce dynamisme peut paraître surprenant : l’environnement est souvent marginalisé dans le contexte des conflits armés durant lesquels sa protection n’est pas considérée comme une priorité. L’article vise à explorer cet intérêt croissant en se focalisant sur les ambitieux « projets de principe sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés », développés par la Commission du droit international entre 2013-2019. L’analyse révèle les origines du projet ainsi que le contexte dans lequel se déroule le travail de la Commission. Sans viser à l’exhaustivité, l’article présente quelques éléments clés qui démontrent le caractère innovant des projets de principe. Adoptant une « approche temporelle », la Commission a considéré des normes s’appliquant avant, pendant et après les conflits. Cette méthode a permis d’aller au-delà des obligations existantes du droit des conflits armés et d’inclure dans le projet plusieurs recommandations, y compris des mesures de prévention des dégradations environnementales et de restauration. L’article se base sur un mémoire de master rédigé par l’auteur et s’appuie sur une étude de documents ainsi que dix entretiens menés auprès d’experts pour réaliser cette recherche.

Un nouveau dynamisme au sein de la communauté internationale

Les activités militaires et les guerres entraînent des conséquences complexes et parfois dévastatrices pour l’environnement qui peuvent poser un risque non seulement pour la survie des êtres humains et d’autres mammifères, mais également pour les écosystèmes concernés (Machlis et Hanson 2008, Lawrence et al. 2015). Lors des guerres du XXe siècle, on a souvent pu observer ces conséquences, issues, par exemple, de l’utilisation d’armes chimiques ou bien des bombardements de sites industriels. Toutefois, à l’exception de certaines guerres dont les dégâts environnementaux gravissimes ont été fortement médiatisés (guerre du Vietnam, guerre du Golfe de 1990-91), les effets environnementaux des conflits armés ne figurent guère de façon prééminente sur l’agenda politique. Comme le constate un rapport publié par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) en coopération avec l’Environmental Law Institute (ELI) et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en 2009, l’environnement demeure « la victime silencieuse » des conflits armés (PNUE et ELI 2009, 9).

Cependant, depuis quelques années, on constate un intérêt politique croissant parmi la communauté internationale, avec l’adoption de résolutions sur ce sujet par l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (2016, 2018), ainsi que des réunions informelles du Conseil de Sécurité consacrées à ce thème tenues en 2018 et 2019 (UN Web TV 2018, 2019). Par ailleurs, le CICR vient d’adopter une version révisée de ses « directives générales et instructions pour les manuels militaires relatifs à la protection de l’environnement en conflits armés », dont la première version était adoptée en 1994 (CICR 2020). En outre, depuis 2013 la Commission du droit international (ci-après « la Commission ») a entrepris de travailler sur les nouveaux « projets de principe sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés » (ci-après « les projets de principe ») (Commission du droit international 2019, 221-316).

Pour les spécialistes du multilatéralisme, le travail de la Commission – institution primordiale des Nations Unies pour la codification et le développement du droit international – est particulièrement intéressant. Grâce à son mandat, elle assume un rôle unique : elle considère les règles de droit international à systématiser et présente à l’Assemblée Générale des propositions concrètes pour l’améliorer. Dans le passé, la Commission a préparé le terrain pour des cadres juridiques essentiels en relations internationales. C’est le cas, par exemple, de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969.

Le projet de la Commission sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés découle notamment du rapport susmentionné, publié par le PNUE, l’ELI et le CICR. Ce rapport donne un aperçu des normes internationales s’appliquant pour protéger l’environnement pendant des conflits armés, prenant en considération le droit international de l’environnement, les droits humains ainsi que le droit international humanitaire (DIH), et conclut que les normes existantes ne sont pas suffisamment développées. Permettant la mise à l’agenda de cette question, le rapport formule plusieurs recommandations visant différents acteurs, y compris la Commission appelée à examiner le droit international pertinent et à considérer comment ce dernier pourrait être « clarifié, codifié et développé » (PNUE et ELI 2009, 53).

Tout au long des dernières années, la Commission a nommé deux Rapporteuses Spéciales parmi ses membres (l’Ambassadrice suédoise Marie G. Jacobsson puis l’Ambassadrice finlandaise Marja Lehto) qui ont produit cinq rapports traitant divers aspects relatifs à ce sujet. Prenant la forme de soft law, les projets de principe ont été adoptés provisoirement par la Commission en première lecture en 2019 puis transmis aux États-membres de l’Assemblée Générale. Pendant les deux dernières années, les gouvernements ainsi que des organisations internationales et d’autres organisations ont eu l’opportunité de soumettre leurs commentaires. Après une potentielle deuxième lecture par la Commission, l’Assemblée Générale pourrait bientôt décider de donner un caractère normatif plus concret aux principes proposés.

Le contenu des projets de principe : entre circonspection et normes progressives

À la suite de la proposition de la Rapporteuse Spéciale Jacobsson, la Commission a décidé de structurer son travail en s’appuyant sur une approche temporelle liée au cycle des conflits. Ainsi, les projets de principe devraient comprendre des normes relatives à la protection de l’environnement avant, pendant et après un conflit armé (Commission du droit international 2014, para. 58). Ils devraient également s’appliquer aux conflits armés internes ainsi qu’aux conflits internationaux (Commission du droit international 2019, 229).

Malgré cette perspective globale, la Commission abordait le sujet avec une certaine circonspection, anticipant notamment des contraintes du monde politique. Cette prudence se manifeste d’abord dans le fait que la Commission délimitait la portée du projet en excluant a priori certains sujets qui auraient pu provoquer un scepticisme ou une opposition parmi les États. Ainsi, était notamment exclue la question des causes des conflits armés, de même que des questions relatives au droit de l’eau et au droit des réfugiés, à la protection du patrimoine culturel et enfin à la légalité de l’utilisation de certaines armes (Jacobsson et Lehto 2020, 32). Par ailleurs, la retenue de la Commission craignant l’effet des contraintes politiques transparaissait des projets de principe s’appliquant pendant des conflits armés. En effet, les normes relatives à la conduite des hostilités réaffirment largement les règles existantes du DIH et ne vont pas au-delà des obligations auxquelles les États sont déjà soumis. Les réserves de la Commission à cet égard sont finalement peu surprenantes puisque toute question du DIH est politiquement sensible et souvent perçue comme faisant partie du domaine réservé des États. Ainsi, la Rapporteuse Spéciale Jacobsson avait clarifié dans son premier rapport que la Commission n’avait « ni l’intention ni la capacité de modifier le droit des conflits armés. » (Commission du droit international 2014, para. 62).

En revanche, plusieurs projets de principe – dont ceux relatifs à la prévention et aux mesures de réhabilitation environnementale – sont nettement plus progressifs, et c’est bien là où se situe l’aspect innovant du projet. L’idée principale est la suivante : une protection environnementale efficace nécessite une approche plus large qui considère le rôle de l’environnement pendant tous les stades d’un cycle de conflit. Aussi, la Commission recommande-t-elle plusieurs principes allant au-delà des obligations existantes. Dans l’élaboration de ces recommandations, la Commission prend en compte les pratiques émergentes des États-membres des Nations Unies ainsi que celles des organisations internationales. Par exemple, le Principe 4 encourage les États à « (…) déclarer comme zones protégées les zones d’importance environnementale et culturelle majeure. » Par ailleurs, le Principe 5 stipule qu’en cas de conflit armé, les États devraient « prendre des mesures appropriées pour protéger l’environnement des territoires habités par des peuples autochtones » et suggère qu’après un conflit armé ayant eu des « effets néfastes sur l’environnement de territoires habités par des peuples autochtones », les États devraient engager des consultations et coopérer avec les peuples concernés en s’appuyant sur des procédures appropriées et en incluant leurs institutions représentatives. Pour donner un dernier exemple, le Principe 6 encourage les États et les organisations internationales à inclure des dispositions sur la protection de l’environnement dans les accords relatifs à la présence de forces militaires.

Prise en considération des effets environnementaux complexes

Ces innovations émergent du travail de la Commission qui est informé par l’expertise accumulée par des organes spécialisés, y compris des organes subsidiaires de l’Assemblée Générale et des agences spécialisées des Nations Unies. Ainsi, la Commission s’appuie sur les rapports techniques mettant l’accent sur les effets secondaires et structurels qu’ont les conflits pour la sécurité humaine et environnementale à plus long terme (voir Lehto 2020, 72). Le Principe 8, par exemple, vise à sensibiliser les organisations internationales et d’autres acteurs pertinents à « prendre des mesures pour prévenir et atténuer la dégradation de l’environnement » dans les zones où se trouvent les personnes déplacées. Le commentaire relatif à ce principe fait référence aux évaluations environnementales post-conflit du PNUE ainsi qu’aux rapports du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de l’Organisation internationale pour les migrations, qui démontrent les effets négatifs que peuvent avoir les déplacements forcés des populations pour l’environnement (Commission du droit international 2019, 246-249). On peut aussi noter que le travail de la Commission tend à mettre en valeur le mandat du PNUE et d’autres organes experts puisque le Principe 25 encourage la coopération « entre les acteurs concernés, y compris les organisations internationales » en matière d’évaluations des dommages environnementaux et des mesures de réhabilitation.

Les effets complexes qu’ont les conflits contemporains sur la sécurité environnementale et humaine sont également mis en valeur par des organisations non-gouvernementales (ONG) spécialisées : par exemple depuis 2014, un réseau transnational d’ONG s’est formé sous le nom du « Toxic Remnants of War Network » attirant l’attention sur les effets des résidus de guerre toxiques ; le réseau d’experts de l’Environmental Peacebuilding Association (s.d.) insiste, quant à lui, sur le rôle des ressources naturelles dans les situations post-conflits et l’importance de leur bonne gouvernance pour réaliser une paix durable préconisant l’intégration de ce sujet dans l’agenda des organisations internationales (pour un aperçu des sujets évoqués par différents acteurs voir Amaya Arias et al. 2020). En somme, l’attention croissante accordée au sujet résulte en grande partie de l’accumulation incrémentale de savoirs techniques sur les effets environnementaux des conflits armés et d’un travail de plaidoyer des ONG.

Un document innovant, mais pragmatique

Si l’Assemblée Générale donne son aval aux projets de principe, ces derniers auront le potentiel de contribuer considérablement à l’amélioration de la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés. Les principes pourraient devenir un cadre de référence innovant, intégrant de manière systématique et uniforme les normes et pratiques pertinentes aux conflits armés contemporains. En même temps, il semble toutefois peu probable que le travail de la Commission ait le potentiel de transformer profondément les pratiques des forces armées pendant les conflits. Les projets ne remettent pas en cause les pratiques ayant historiquement contribué aux dégâts environnementaux néfastes. Ce résultat relève du mandat spécifique et limité de la Commission, mais aussi de son pragmatisme : En tant qu’organe subsidiaire de l’Assemblée Générale, elle vise à produire des résultats respectant les sensibilités politiques afin de préserver sa légitimité vis-à-vis des États.

 

Bibliographie/Références

Assemblée des Nations Unies pour l’environnement du Programme des Nations Unies pour l’environnement. 2016. « Protection de l’environnement dans les régions touchées par des conflits armés. » UNEP/EA.2/Res.15. 4 août 2016. https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/11189/K1607253_UNEPEA2_RES15F.pdf?sequence=4&isAllowed=y (consulté le 22 juillet 2021).

Assemblée des Nations Unies pour l’environnement du Programme des Nations Unies pour l’environnement. 2018. « Réduction et maîtrise de la pollution dans les zones touchées par des conflits armés ou le terrorisme. » UNEP/EA.3/Res.1. 30 janvier 2018. https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/30792/UNEA3_1FR.pdf?sequence=4&isAllowed=y (consulté le 22 juillet 2021).

Amaya Arias, Ángela María, Dmytro Averin, Carl Bruch, Nickolai Denisov, Katie Herrison, Miguel Lodoño et al. 2020. « Witnessing the Environmental Impacts of War. Environmental case studies from conflict zones around the world. » Édité par Susi Snyder. https://ceobs.org/wp-content/uploads/2020/11/Witnessing_the-environmental_impacts_of-war.pdf (consulté le 19 août 2021).

CICR. 2020. « Guidelines on the protection of the natural environment in armed conflict. Rules and recommendations relating to the protection of the natural environment under international humanitarian law, with commentary » https://shop.icrc.org/guidelines-on-the-protection-of-the-natural-environment-in-armed-conflict-pdf-en (consulté le 26 février 2021).

Commission du droit international. 2014. « Rapport préliminaire sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés. Établi par Marie G. Jacobsson, Rapporteuse spéciale ». A/CN.4/674. 30 mai 2014. https://undocs.org/fr/A/CN.4/674 (consulté le 14 avril 2021).

Commission du droit international. 2019. « Chapitre VI du Rapport de la Commission du droit internationale, soixante et onzième session (29 avril-7juin et 8juillet-9août 2019) : Protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés » A/74/10, 221-316. https://legal.un.org/ilc/reports/2019/french/chp6.pdf (consulté le 22 juillet 2021). 

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Jacobsson, Marie G, et Marja Lehto. 2020. « Protection of the Environment in Relation to Armed Conflicts – An Overview of the International Law Commission’s Ongoing Work. » Goettingen Journal of International Law 10 (1): 27–46. https://www.gojil.eu/issues/101/101_article_jacobsson_lehto.pdf (consulté le 25 août 2021).

Lawrence, Michael J., Holly L.J. Stemberger, Aaron J. Zolderdo, Daniel P. Struthers, and Steven J. Cooke. 2015. “The Effects of Modern War and Military Activities on Biodiversity and the Environment.” Environmental Reviews 23 (4): 443–60. https://cdnsciencepub.com/doi/full/10.1139/er-2015-0039 (consulté le 25 août 2021).

Lehto, Marja. 2020. « Armed Conflicts and the Environment: The International Law Commission’s New Draft Principles. » Review of European, Comparative & International Environmental Law 29 (1): 67–75. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/reel.12324 (consulté le 25 août 2021).

Machlis, Gary E., et Thor Hanson. 2008. « Warfare Ecology. » BioScience 58 (8): 729–36.

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UN Web TV. 2019. « Arria-formula meeting on Protection of the Environment during armed conflict. » Enregistré le 9 décembre 2019. https://media.un.org/en/asset/k1w/k1wjpianf4 (consulté le 22 juillet 2021).

Pour citer ce document :
Tim Bosch, "Protéger l’environnement dans les conflits armés. Le travail réalisé par la Commission du droit international (2013-2019)". Journal du multilatéralisme, ISSN 2825-6107 [en ligne], 05.05.2022, https://observatoire-multilateralisme.fr/publications/proteger-lenvironnement-dans-les-conflits-armes/