La diplomatie climatique européenne en amont de la COP28
Adrien Jouannard est titulaire d’un master en sécurité internationale de l’École des Affaires Internationales de Sciences Po Paris (PSIA). Il s’intéresse aux conséquences géopolitiques et sécuritaires du réchauffement climatique.
Le leadership historique de l’UE dans les négociations sur le climat
Dans ses conclusions sur la diplomatie climatique et énergétique de mars 2023, le Conseil de l’Union européenne s’est engagé à mettre en œuvre l’Accord de Paris en s’efforçant à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Sur cette base, les Etats membres se sont accordés en octobre sur des objectifs ambitieux fixant la position de négociation commune de l’UE pour la COP28 à venir. Ce compromis entre Etats membres repose sur trois piliers : le triplement de la capacité des énergies renouvelables, la multiplication par deux de l’efficacité énergétique et une sortie progressive des combustibles fossiles non adossés à des dispositifs de réduction des émissions, tels que le captage et le stockage du CO2.
Depuis les années 1990, l’UE est reconnue comme l’un des leaders des négociations internationales sur le climat. En signant la Convention de Rio (1992) et en œuvrant pour l’adoption du protocole de Kyoto (1997), l’UE s’est très tôt montrée plus volontariste que les autres pays du Nord sur les questions climatiques. Aussi, jusqu’aux années 2010, l’UE pouvait se targuer de mener les négociations climatiques internationales unilatéralement, en montrant simplement l’exemple.
Aujourd’hui, l’UE invoque toujours sa capacité à montrer l’exemple grâce à ses politiques climatiques, telles que le Pacte vert européen et le paquet Fit for 55. Cependant, sa crédibilité s’est érodée. Aux côtés des USA, les Européens n’ont pas tenu leur engagement, pris à la COP15 (2009), de financer la lutte contre le réchauffement climatique des pays en développement à hauteur de 100 milliards de dollar d’ici 2020. En outre, les rapports géopolitiques et géoéconomiques ont évolué : le poids des pays occidentaux a relativement diminué, alors que les pays émergents comme l’Inde, le Brésil, la Chine ou l’Arabie saoudite, historiquement moins ambitieux en matière de climat, gagnent en influence. Par ailleurs, l’élection de Joe Biden aux Etats-Unis a remis en question le leadership climatique global de l’UE. Après leur retour dans l’accord de Paris en 2021, l’Inflation Reduction Act, annoncée en 2022 pour freiner l’inflation et promouvoir les énergies renouvelables par l’innovation et les investissements, est interprétée comme un contre-modèle à l’exemple européen, basé sur des règles et des régulations.
Entre leadeuse et médiatrice : la stratégie de l’UE à la COP28
Lors de la COP15 à Copenhague (2009), l’UE a n’a pas réussi à atteindre son objectif ambitieux en raison d’une mauvaise interprétation du contexte géopolitique, d’une stratégie de négociation trop unilatérale et d’un manque de cohésion entre ses Etats membres. À la suite de cet échec, l’UE a abandonné l’idée de mener les négociations par l’exemple. Depuis la COP17 (2011), et a fortiori la COP21 de Paris (2015), elle suit désormais une nouvelle stratégie pour atteindre ses objectifs : celles de la « leadiatrice », à la fois meneuse, mais surtout médiatrice entre les différentes parties.
Cette stratégie consiste premièrement à lancer une dynamique en amont de la COP. Elle met sur la table des objectifs climatiques ambitieux dans le cadre d’autres forums multilatéraux, tels que le G7, le G20 ou le Conseil de sécurité de l’ONU. Ainsi, en avril 2023, les membres du G7 se sont engagés, pour la première fois, à accélérer leur sortie des énergies fossiles. Ils s’inspiraient des objectifs que l’UE s’était fixés dans ses conclusions sur la diplomatie climatique un mois auparavant. Lors des rencontres des ministres de l’Environnement du G20 en juillet, l’UE a essayé de convaincre les autres Etats de tripler la capacité des énergies renouvelables et d’amorcer la sortie des énergie fossiles. Elle a toutefois échoué en raison de l’opposition de la Russie, de l’Arabie saoudite et de la Chine.
Les rencontres préparatoires de la COP sont d’autres occasions pour l’UE d’initier une dynamique. Ainsi, a-t-elle annoncé mi-novembre sa « contribution substantielle » au fonds « pertes et dommages » climatiques. Ce fonds illustre la stratégie de compromis, de « construction de ponts » de l’UE « leadiatrice ». Initialement opposée, l’UE a accepté de soutenir ce fonds à la fin de la COP27 – permettant l’adoption d’un accord de justesse. Mais elle a posé deux conditions : que ce fonds ne puisse profiter qu’aux pays les plus vulnérables et que les pays « en développement » qui en ont les moyens, tels que la Chine et les monarchies du Golfe, y contribuent également.
Deuxièmement, outre les forums multilatéraux, l’UE mise sur la coopération bilatérale avec des pays tiers pour les convaincre du bien-fondé de ses positions et recueillir leurs réactions sur ses objectifs. Ce travail est mené principalement par les délégations de l’UE à l’étranger et les réseaux diplomatiques des Etats membres, ainsi que dans le cadre des dialogues UE-USA et UE-Chine. Par exemple, le sommet UE-Chine qui aura lieu en parallèle de la COP sera l’occasion de mettre les questions climatiques en haut de l’agenda.
Enfin, la troisième composante essentielle de l’UE « leadiatrice » réside dans sa capacité à créer des coalitions avec des partenaires constructifs autour de ses objectifs. Ses principaux alliés sont les Etats aux aspirations climatiques ambitieuses, comme la Colombie ou le Kenya, ainsi que les plus vulnérables au dérèglement climatique, tels que les petits Etats insulaires en développement.
En dépit de son rôle de meneuse et de médiatrice, l’UE arrivera-t-elle à faire adopter l’intégralité de ses ambitieux objectifs par tous les Etats signataires de la COP à Dubaï ? Si les objectifs en matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique semblent atteignables, la sortie progressive des combustibles fossiles et le fonds « pertes et dommages » risquent d’être des sujets particulièrement épineux.
Adrien Jouannard, "L’UE met le cap sur la COP. La diplomatie climatique européenne en amont de la COP28". Décryptage de l'actualité [en ligne], 01.12.2023, https://observatoire-multilateralisme.fr/publications/lue-met-le-cap-sur-la-cop/