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Les dispositifs de l’inclusion à l’ONU

Leah R. Kimber, Comité préparatoire de la troisième Conférence mondiale sur la réduction des risques de catastrophe, 14 juillet 2014, Palais des Nations, Genève, Suisse.
LE 22.02.2023

Comité préparatoire de la troisième Conférence mondiale sur la réduction des risques de catastrophe, 14 juillet 2014, Palais des Nations, Genève, Suisse. © Leah R. Kimber

Inclusion et exclusion des acteurs non étatiques dans les négociations multilatérales

Leah R. Kimber

Leah R. Kimber est une sociologue spécialisée dans l’étude des organisations et plus spécifiquement celle des organisations internationales. Elle réalise une thèse de doctorat à l’université de Genève qu’elle défend en 2020 traitant de l’inclusion de la société civile dans les processus de négociations à l’ONU. Elle est actuellement affiliée comme postdoctorante soutenue par le fonds national suisse à l’Université de Columbia à New York où elle étudie les mécanismes qui empêchent l’ONU de mentionner la diversité dans ses textes.

Ce texte a été rédigé à la suite de la séance du 17 novembre 2022 du séminaire de recherche du GRAM (groupe de recherche sur l’action multilatérale), dédié depuis 2015 à l’étude du multilatéralisme et des organisations internationales.

Les Nations Unies revendiquent l’inclusion de la société civile, cela tout particulièrement depuis les années 1990s après la chute du mur de Berlin, où le monde connut une explosion des organisations non gouvernementales (Kaldor 2013). La littérature scientifique met en exergue cette observation, reconnaissant même ces organisations comme un acteur clé dans la gouvernance globale aux côté des États membres (Cohen 2004, Gordenker et Weiss 1997). Or, de quoi est faite cette inclusion ? Qu’entend-on par une Organisation des Nations Unies inclusive ?

Jusqu’à présent, l’inclusion a été comprise, notamment par les anthropologues, comme l’accès physique au sein du périmètre onusien (Müller 2012), obtenu grâce à un badge d’accréditation. En termes de participation, l’inclusion est interprétée par les sociologues comme la capacité à être présent dans les salles de réunion et prendre part à des discussions (McKeon 2009). Les politologues se sont quant à eux penchés sur l’inclusion par le biais de l’influence (Tallberg et al. 2018). 

Dans le contexte d’une ratification d’un plan d’action, et dans ce cas précis, du plan d’action de Sendai (2015-2030) mené par l’UNDRR (United Nations for Disaster Risk Reduction) – anciennement l’UNISDR (United Nations International Strategy for Disaster Reduction) – la question de l’inclusion se doit d’être plus nuancée. En effet, si le nerf de la guerre se situe au niveau de l’intégration des mots et des idées que prône et revendique la société civile (Bellier 2012), comment pouvons-nous parler d’inclusion sans prendre en compte l’importance des mots, sans parler de qui est inclus et comment ?

 

La présentation réalisée dans le contexte du séminaire du GRAM, basée sur la thèse de doctorat intitulée The Architecture of Exclusion at the United Nations: Analyzing the Inclusion of the Women’s Group in the Negotiations of the Sendai Framework for Disaster Risk Reduction a pour but de donner à la fois une définition théorique plus rigoureuse et une définition empirique plus adaptée pour parler de l’inclusion dans les arènes intergouvernementales. En effet, ce sont bel et bien les dynamiques d’inclusion (et par conséquent d’exclusion) qui valent la peine d’être mises en lumière pour comprendre les mécanismes sous-jacents de l’inclusion dans le processus de l’élaboration d’un cadre d’action.

Cette recherche montre de manière détaillée les trois étapes de l’inclusion. Premièrement, à travers le dispositif institutionnel, on perçoit les règles d’accréditation donnant à voir qui l’obtient, par quels mécanismes et ce faisant qui constitue cette société civile. Deuxièmement, par le dispositif social, on observe les enjeux autour de la participation, à savoir comment, où et à quels moments les membres des organisations de la société civile participent à la prise de décision au sein des arènes multilatérales. Cela nous permet également d’en savoir plus sur les interactions qui ont eu lieu et les informations qui ont circulé afin que les membres sachent où se rendre aux moments opportuns. Enfin, par le dispositif substantif, on se concentre sur les défis autour des mots. Autrement dit, quels mots, et par conséquent, quels concepts ont été présentés, débattus, tus et finalement retenus dans le texte ratifié ?

 

Ces trois étapes de l’inclusion sont pensées en mêlant d’un côté la théorie des dispositifs de Foucault – dispositifs au sein desquels se déploient les relations de pouvoir – et de l’autre la théorie des groupes d’intérêts, et plus précisément l’influence production process qui permet de souligner le processus dynamique auquel est sujet la société civile dans les activités de plaidoyer (Lowery and Gray 2004). 

Dès lors, les dispositifs institutionnel, social et substantif se doivent d’être analysés par le prisme de leur interdépendance, permettant alors de souligner les dynamiques d’inclusion et de facto d’exclusion dans le processus de négociations d’un texte ratifié. Mobilisant la sociologie des organisations et la théorie des groupes d’intérêts, cette recherche permet de nuancer les propos de l’Organisation des Nations Unies sur ses relations avec ces acteurs non étatiques, et ainsi de saisir l’inclusion et l’exclusion dans la pratique, qui se joue à chaque étape du plaidoyer. 

Au-delà d’une vision normative de l’inclusion, condition d’un système plus démocratique, l’étude permet d’analyser la manière dont l’UNDRR interagit avec la société civile au niveau macro, par le biais des major groups, mais aussi d’étudier les activités du plaidoyer au niveau meso, ainsi que les individus et la gestion de leur carrière au niveau micro.

 

Leah R. Kimber travaille actuellement sur le manuscrit qui sera publié aux Éditions Presses de Bristol (Bristol University Press) en août 2024 et qui s’intitulera Exclusion Despite Inclusion: Civil Society and Intergovernmental Negotiations at the United Nations.

 

Bibliographie/Références

Cohen, S. (2004). Le pouvoir des ONG en question. Le Débat, 128 (1), p. 57–76.

Kaldor, M. (2013). Global Civil Society: An Answer to War. Chichester: John Wiley and Sons.

Gordenker, L. et Weiss, T.G. (1997). Devolving responsibilities: a framework for analysing NGOs and services. Third World Quarterly, 18(3), p. 443-456.

Kimber, Leah. R. (2020). The Architecture of Exclusion at the United Nations: Analyzing the Inclusion of the Women’s Group in the Negotiations of the Sendai Framework for Disaster Risk Reduction. PhD thesis. University of Geneva.

Lowery, D. et Gray V. (2004). A Neopluralist Perspective on Research on Organized Interests. Political Research Quarterly, 57 (1), p. 163–175.

McKeon, N. (2009). The United Nations and Civil Society: Legitimating Global Governance – Whose Voice? Zed Books Ltd.

Müller, B. (2012). Comment rendre le monde gouvernable sans le gouverner : les organisations internationales analysées par les anthropologues. Critique internationale, 1(54), p. 9-18.

Tallberg J., Dellmuth L. M., Agné H. et Duit A. (2018). NGO Influence in International Organizations. British Journal of Political Science, 48 (1), p. 213–238.

Pour citer ce document :
Leah R. Kimber, "Les dispositifs de l’inclusion à l’ONU. Inclusion et exclusion des acteurs non étatiques dans les négociations multilatérales". Décryptage de l'actualité [en ligne], 22.02.2023, https://observatoire-multilateralisme.fr/publications/les-dispositifs-de-linclusion-aux-nations-unies/