Publication - OI

Le Traité pour la protection de la haute mer et la biodiversité marine

Multilatéralisme environnemental et compromis diplomatiques

Leslie-Anne Duvic-Paoli

Leslie-Anne Duvic-Paoli est maîtresse de conférences en droit et directrice adjointe du Centre for Climate Law & Governance, de la The Dickson Poon School of Law de King’s College à Londres.

Ce texte a été rédigé à la suite de la séance du 30/05/2024 du séminaire de recherche du GRAM (groupe de recherche sur l’action multilatérale), dédié depuis 2015 à l’étude du multilatéralisme et des organisations internationales.

Les océans sont confrontés à des menaces croissantes résultant des activités humaines, telles que la surpêche, la pollution et l’extraction des ressources. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), adoptée en 1982 et souvent qualifiée de « constitution des océans », offre un cadre de gouvernance global, mais elle ne répond pas pleinement aux défis posés par la protection de la biodiversité marine en haute mer.

L’Accord se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (connu sous son acronyme anglais « BBNJ »), adopté le 19 juin 2023, marque un tournant majeur pour le droit international de l’environnement. En effet, il vient combler des lacunes importantes concernant la gouvernance de la haute mer, cet espace ne relevant pas de la juridiction nationale et représentant plus de 60% de la surface des océans.

L’Accord BBNJ, composé de 76 articles, couvre quatre grandes questions :

  1. Les ressources génétiques marines (RGM), matériaux héréditaires présents dans les organismes marins, utilisés pour diverses applications scientifiques, médicales, et industrielles.
  2. Les outils de gestion par zone (OGZ), telles que les aires marines protégées, qui permettent de réguler les différentes utilisations des espaces marins tout en préservant les écosystèmes et les ressources naturelles.
  3. Les évaluations d’impact sur l’environnement (EIE), processus visant à identifier et prévenir les effets potentiels d’une activité proposée sur l’environnement marin au-delà des juridictions nationales.
  4. Le renforcement des capacités et transfert de technologies marines, en soutien aux États en développement.

Fruit d’un processus de négociation complexe et laborieux, cet accord est le résultat d’un long travail, amorcé par un Groupe de travail informel entre 2004 et 2015, puis par un Comité préparatoire entre 2016 et 2018, avant que ne s’ouvrent les négociations intergouvernementales de 2018 à 2023.

La gouvernance de la haute mer, en raison des intérêts géopolitiques, économiques et culturels divergents, est particulièrement difficile. Cet essai présente trois questions transversales qui caractérisent les compromis diplomatiques spécifiques à la gouvernance de la biodiversité en haute mer dont l’Accord BBNJ est issu. Elles concernant : i) le modèle de traité ; ii) la distribution des responsabilités ; iii) et l’intégration institutionnelle.

L’Accord est un traité de droit de la mer « environnementalisé »

L’Accord BBNJ se situe à l’intersection de deux problématiques : d’une part, la protection de la biodiversité, qui nécessite une approche écosystémique, et d’autre part, une réalité territoriale basée sur le droit de la mer, fondée sur la division des espaces maritimes en zones où droits et devoirs varient. Le défi diplomatique a été de s’accorder sur les moyens de protection d’un environnement riche en ressources mais aussi très vulnérable, dans un espace où prédominent les libertés de navigation, de pêche et de recherche scientifique.

En s’inscrivant dans la continuité du droit de la mer, l’Accord BBNJ s’intéresse en premier lieu à la gouvernance des zones situées hors de la juridiction nationale, sans faire de la biodiversité son sujet unique. Troisième accord de mise en œuvre de la CNUDM, il renforce les divisions artificielles créées par le droit de la mer en scindant, et différenciant, la gouvernance de la biodiversité en fonction de sa localisation.

Néanmoins, l’Accord BBNJ introduit une dimension environnementale au droit de la mer.

Tout d’abord, par sa structure inspirée du droit international de l’environnement : conçu comme un traité-cadre, il est destiné à évoluer au fil du temps grâce à une Conférence des Parties (COP) et des organes subsidiaires, capables d’élaborer de nouvelles règles et de guider sa mise en œuvre.

Ensuite, il adopte des techniques empruntées au droit de l’environnement, comme l’étude d’impact environnemental (EIE). L’Accord reproduit le seuil élevé de la CNUDM qui déclenche une obligation d’EIE : celle-ci s’applique lorsqu’il y a de « sérieuses raisons de penser » que les activités « risquent d’entraîner une pollution importante ou des modifications considérables et nuisibles du milieu marin » (CNUDM, article 206 ; BBNJ, article 30(1)(b)). Mais il y ajoute une étape préliminaire essentielle, inspirée du Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement, pour garantir que l’impact de l’activité envisagée soit en dessous du seuil nécessitant une EIE. Il s’agit d’un contrôle préliminaire des activités qui « peuvent avoir plus qu’un effet mineur ou transitoire » sur le milieu marin ou si les effets de l’activité sont inconnus ou mal compris (article 30(1)(a)), permettant ainsi une meilleure mise en œuvre de l’obligation de l’EIE, plus protectrice de l’environnement. Si la procédure est encadrée par une liste de facteurs à considérer (article 30(2)) et internationalisée (notamment par la formulation de recommandations de l’Organe scientifique et technique de l’Accord, article 28(3)), elle reste sous l’initiative des États qui décident du lancement de la procédure (article 28(2)).

L’Accord coordonne les libertés en haute mer sans proposer une gouvernance commune

Dans la quête d’un équilibre diplomatique, les négociations du BBNJ ont été confrontées à une difficile question : la haute mer est-elle un espace de liberté, où chaque État peut entreprendre les activités de son choix ? Ou, au contraire, est-ce un lieu de gouvernance collective, à partager et à protéger par la communauté internationale ?

Cette question s’est particulièrement posée dans le cadre de l’exploitation des ressources génétiques marines, où deux principes directeurs du droit de la mer s’opposaient : d’un côté, le principe de liberté de la haute mer (y compris de la recherche scientifique marine), un pilier pour les grandes puissances maritimes, et de l’autre, le principe de patrimoine commun de l’humanité, cher aux pays en développement qui plaident pour un partage équitable des bénéfices tirés de ces ressources, auxquelles ils n’ont pas accès en raison de moyens limités. Le principe de liberté de la haute mer favorise un modèle de coordination souple, avec une régulation minimale et une architecture institutionnelle simplifiée, tandis que le principe de patrimoine commun de l’humanité appelle à un modèle de gouvernance commune et institutionalisée.

L’Accord BBNJ ne tranche pas clairement cette opposition et reconnaît les deux principes à l’article 7 concernant les principes qui « orientent » les Parties. Ainsi, l’Accord BBNJ élude le statut juridique des ressources génétiques marines dans les zones ne relevant pas de la juridiction nationale. D’une part, toutes les Parties « peuvent mener des activités relatives aux ressources génétiques » (article 11(1)) ; d’autre part, « aucun Etat ne peut revendiquer ou exercer de souveraineté ou de droits souverains » (article 11(4)) sur ces ressources. La coopération est encouragée (article 11(2)) et les activités doivent se faire « sont dans l’intérêt de tous les États et pour le bénéfice de l’humanité tout entière (article 11(6)). La gestion des ressources n’est pas institutionalisée mais un système de notification concernant les activités relatives aux ressources génétiques est mis en place (article 12) et les avantages seront partagés « de manière juste et équitable » (article 14).

L’Accord s’intègre dans le paysage institutionnel existant sans le dominer

Enfin, une dernière problématique concernant la gouvernance de la biodiversité en haute mer portait sur la place de l’Accord dans un cadre conventionnel et institutionnel déjà dense, composé notamment d’accords mondiaux sur la biodiversité, d’instruments régionaux de protection de l’environnement marin, d’organisations régionales de gestion des pêches, et de dispositions juridiques concernant les fonds marins au-delà du plateau continental national.

L’Accord BBNJ comble les lacunes du régime actuel sans pour autant imposer une structure hiérarchique ou une gouvernance commune. Ainsi, il s’efforce de coordonner les efforts des différentes entités régionales et sectorielles. L’article 5(2) prévoit que l’Accord sera « interprété et appliqué d’une manière qui ne porte atteinte ni aux instruments et cadres juridiques pertinents, ni aux organes mondiaux, régionaux, sous-régionaux et sectoriels pertinents, et qui favorise la cohérence et la coordination avec ces instruments, cadres et organes ».

En conséquence, la création d’outils de gestion par zone est soumise à un pouvoir de décision restreint pour la COP. Celle-ci peut prendre « des décisions sur toutes mesures compatibles avec celles qui ont été adoptées par des instruments et cadres juridiques pertinents et par des organes mondiaux, régionaux, sous-régionaux et sectoriels pertinents, en coopération et en coordination avec lesdits instruments et cadres juridiques et lesdits organes » (article 22(b)). Si les mesures proposées relèvent de la compétence d’autres organes, son mandat se limite à formuler des recommandations (article 22(c)). Ainsi, l’Accord ne répond pas de manière décisive à la fragmentation de la gouvernance de la haute mer, préférant favoriser la coopération entre les diverses entités existantes. L’articulation entre l’Accord et les autres instruments de gouvernance de la mer devra être précisée au fil de la pratique.

Conclusion

L’adoption de l’Accord BBNJ, souvent qualifié d’ « accord historique », constitue une avancée majeure dans la protection de la biodiversité marine en haute mer. Le défi diplomatique a été de trouver des compromis permettant d’encourager la coopération internationale pour la protection de l’environnement, tout en prenant en compte les intérêts nationaux variés. Si l’Accord offre un cadre prometteur, de nombreux éléments restent encore à préciser, et c’est de leur mise en œuvre dont dépendra en grande partie le succès de l’Accord et l’instauration d’une gouvernance solide de la haute mer.

Pour citer ce document :
Leslie-Anne Duvic-Paoli, "Le Traité pour la protection de la haute mer et la biodiversité marine. Multilatéralisme environnemental et compromis diplomatiques". Décryptage de l'actualité [en ligne], 29.09.2024, https://observatoire-multilateralisme.fr/publications/le-traite-pour-la-protection-de-la-haute-mer-et-la-biodiversite-marine/