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Le dilemme politique de l’Asie centrale

LE 15.11.2023

Le président russe Vladimir Poutine au Sommet de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), en 2022. Kremlin.ru – CC BY 4.0

Le multilatéralisme en recomposition en Asie centrale à l’aune de la guerre en Ukraine

Aleksandra Bolonina

Aleksandra Bolonina est doctorante et chargée de travaux dirigés à l’Université Paris Panthéon-Assas. 

Si aujourd’hui, la Russie est l’acteur le plus présent en Asie centrale, que ce soit sur le plan militaire ou économique, la phase active de la guerre en Ukraine débutée en février 2022 a impacté ce statu quo en poussant les États de la région à marquer une certaine distance avec la Russie. En effet, depuis lors, son crédit de confiance a considérablement diminué et sa fiabilité en tant que partenaire commercial a été remise en question. Par conséquent, les États d’Asie centrale viennent interroger la pertinence et l’efficacité des institutions régionales promues par la Russie, à savoir l’Union économique eurasiatique (UEEA) et l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Le coût politique élevé du maintien de la coopération étroite avec la Russie et le dysfonctionnement de ces structures de coopération ont amené les cinq pays à s’investir davantage dans le développement du multilatéralisme intrarégional. La coopération multilatérale plus poussée entre les pays d’Asie centrale a le potentiel de devenir un moyen de renforcer leur agentivité et leur poids politique dans les négociations, particulièrement nécessaires à l’heure actuelle des tensions croissantes à l’échelle internationale. Cependant, alors que de nombreux obstacles persistent encore, la coopération intrarégionale n’est pas pour le moment en mesure de constituer une alternative viable aux partenariats extérieurs, y compris ceux avec la Russie.

La phase active de la guerre russo-ukrainienne débutée en février 2022 a impacté les dynamiques de la coopération multilatérale en Asie centrale, en déplaçant l’accent des institutions promues par la Russie, notamment l’Union économique euroasiatique (UEEA) et l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), vers les formats de coopération alternatifs. En effet, l’affaiblissement des positions politiques de la Russie a conduit à une remise en cause de son rôle de pourvoyeur de sécurité dans la région, ainsi que de sa réputation de partenaire économique fiable. Parallèlement, il semble avoir donné un nouvel élan à la coopération intrarégionale en Asie centrale qui peine à se concrétiser depuis la chute de l’URSS.

Une présence russe en Asie centrale toujours importante

Aujourd’hui, la Russie demeure l’acteur le plus présent en Asie centrale, que ce soit sur le plan militaire ou économique. Cela est notamment dû à de nombreux leviers dont dispose la Russie, qui lui permettent d’assurer l’allégeance politique des pays de la région, ainsi que leur adhésion à ses initiatives de coopération.

En plus des liens historiques et culturels tissés durant la période soviétique, c’est tout d’abord, la migration de travail vers la Russie, facilitée par l’adhésion à l’Union eurasiatique et essentielle pour les pays comme le Kirghizstan, l’Ouzbékistan (non-membre de l’UEEA) et le Tadjikistan.  Les envois d’argent des migrants travailleurs installés en Russie constituent une partie considérable de leurs recettes (environ 30% du PIB des pays comme le Tadjikistan et le Kirghizstan). En 2022, après une vague de départs observée durant les premiers mois après l’invasion russe, la stabilisation progressive du rouble a redonné de la crédibilité au marché de travail russe et a encouragé le retour de la main-d’œuvre étrangère. Environ 3,12 millions de migrants travailleurs sont entrés en Russie durant le deuxième trimestre de 2022, ce qui dépasse d’un tiers les chiffres de la même période de 2021 et constitue un « record » de 6 dernières années. Par ailleurs, afin de rassurer les pays d’Asie centrale, le ministère de l’Intérieur russe a annoncé en décembre 2022 qu’il envisageait d’assouplir les conditions du séjour des migrants travailleurs sur le territoire russe à partir de 2024 et de réviser les motifs de leur inscription sur les « listes noires ». Il s’agit des bases de données qui comportent des informations sur les migrants qui ont commis une infraction et à qui de ce fait l’accès au territoire de la Russie est désormais interdit. Toutefois, les changements de la politique migratoire russe qui ont eu lieu depuis lors ne sont pas toujours allés dans le sens d’assouplissement et l’élection présidentielle prévue au printemps 2024 risque de renforcer les mesures de contrôle.

Deuxièmement, c’est via le territoire russe que transitent des flux importants de marchandises et d’hydrocarbures des États d’Asie centrale. C’est par exemple le cas du Kazakhstan dont les livraisons de pétrole se font en grande partie via le port de Novorossiïsk par le Caspian Pipeline Consortium (CPC). Alors que le CPC appartient à 31% aux entreprises russes, celle-ci n’a pas manqué de bloquer le transit du pétrole par ce pipeline afin de mettre la pression sur le Kazakhstan (Levystone, 2022). Astana est d’autant plus exposée à la pression de Moscou que le pays partage une frontière commune de plus de 7000 kilomètres avec son voisin du nord. À ce titre, les personnalités politiques russes ont à plusieurs reprises fait des déclarations tantôt soulignant le caractère « offerts » des régions kazakhs du nord, tantôt sur la possibilité de leur « retour » en Russie.

La présence russe en Asie centrale se traduit plus concrètement par sa politique régionaliste.  En plus des installations militaires situées au Kirghizstan, au Kazakhstan et au Tadjikistan, la coopération sécuritaire de la Russie avec les États d’Asie centrale se déroule dans un cadre multilatéral institutionnalisé, par le biais de l’OTSC et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) (Faсon, 2021). Si les deux organisations ont pour objectif de renforcer la paix et la sécurité dans la région, elles constituent également pour la Russie un moyen de protéger ce qu’elle considère comme ses « zones d’influence » et de minimiser la présence des acteurs extérieurs (Malachenko, 2012).

Sur le plan économique, la coopération multilatérale en Asie centrale est encadrée par l’UEEA, qui vise à établir un marché commun de marchandises, de services, de capital et de main-d’œuvre. Malgré le contexte économique défavorable en 2022, le volume d’échanges commerciaux entre les pays membres de l’UEEA a augmenté de 12,8% durant les dix premiers mois de 2022, en comparaison avec 2021. Une tendance semblable s’observe dans les relations entre la Russie et les deux États d’Asie centrale qui ne font pas partie de l’Union eurasiatique, à savoir le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, dont les échanges commerciaux avec la Russie ont augmenté de 22% (durant les huit premiers mois de 2022) et de 40% (durant les neuf premiers mois de 2022) respectivement.

L’affaiblissement du leadership régional en matière sécuritaire de la Russie

Cependant, malgré la présence « traditionnelle » de la Russie en Asie centrale, son crédit de confiance a considérablement diminué à la suite de sa décision d’envahir l’Ukraine, de même que sa fiabilité en tant que partenaire commercial a été remise en question (Alexeeva, Lasserre, 2022).

Bien qu’ils gardent une posture formellement neutre vis-à-vis de l’opération militaire russe, les États centrasiatiques n’hésitent pas à démontrer leur désapprobation de façon implicite, que ce soit par des remarques critiques au sujet de la politique étrangère russe ou des mesures qui autrefois auraient été jugées peu amicales, à l’instar de la création au Tadjikistan des groupes de travail chargés d’inspecter les conditions de travail des migrants tadjiks en Russie. Par ailleurs, bien que les États d’Asie centrale préfèrent s’abstenir au sein de l’ONU lors des votes visant Moscou, les pays de la région cherchent activement à pousser plus loin leur coopération avec les États désignés comme « non amicaux » par la Russie, par exemple le Royaume-Uni, les Etats-Unis ou encore le Japon, et apportent de l’aide humanitaire à l’Ukraine. Ils se plient aussi, bon gré mal gré, aux sanctions occidentales imposées sur la Russie, bien que certaines voies de contournement se soient vues apparaître. 

Dans ce contexte, la place des organisations régionales promues par la Russie en Asie centrale est interrogée. En effet, la posture internationale actuelle de la Russie vient jeter une ombre sur sa capacité de jouer le rôle d’un pourvoyeur de sécurité dans son voisinage immédiat, notamment à travers l’OTSC. Sur ce point, l’escalade du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en septembre-octobre 2023 n’a fait que renforcer cette perception.

En plus de l’incompatibilité évidente du rôle de garant de sécurité avec sa décision de s’engager dans un conflit armé, les difficultés opérationnelles rencontrées par l’armée russe sur le front ukrainien ont par ailleurs déconstruit le mythe de la deuxième puissance militaire mondiale. De ce fait, la question se pose de savoir si les moyens à la disposition de la Russie et de l’OTSC, financiers comme militaires, sont suffisants pour qu’elle puisse assumer ce rôle. D’autant plus que depuis février 2022 la priorité est donnée à son effort militaire en Ukraine, au détriment de ses engagements dans le Caucase ou en Asie centrale. Moscou n’arrive plus à respecter ces engagements de fourniture d’armes aux pays membres de l’OTSC, comme l’a remarqué le Premier ministre arménien en septembre 2022. De même, elle aurait redéployé une partie de son personnel militaire depuis les bases militaires du Kirghizstan et du Tadjikistan vers l’Ukraine. 

À la lumière de ces défis, l’OTSC n’a pas non plus su apporter une réponse concrète à une nouvelle série d’affrontements violents à la frontière entre le Kirghizstan et le Tadjikistan survenus en mi-septembre 2022. Toujours est-il que la réaction de l’OTSC a été extrêmement rapide en janvier 2022, lors des contestations de masse du régime politique kazakh, quand les forces de maintien de la paix de l’OTSC ont été déployées – pour la première fois – au Kazakhstan. Dans cette perspective, nous observons que le soutien fourni par l’OTSC a une dimension politique forte et la volonté politique de la Russie reste déterminante dans la prise des décisions au sein de cette organisation, parfois au détriment de ses engagements formels envers ses alliés, ce qui interroge la raison d’être de cette structure et sa nature multilatérale même. 

Une occasion de renégocier les termes de la coopération avec la Russie

Sur le plan économique, le coût politique de la coopération avec la Russie devient aussi de plus en plus élevé et les sanctions contre la Russie touchent par ricochet les économies centrasiatiques. Dans ce contexte, les États d’Asie centrale ont cherché à garder une certaine distance avec la Russie, ce qui ne signifie pas automatiquement qu’ils souhaitent se retirer des projets de coopération dont ils font déjà partie. Au contraire, les États d’Asie centrale essaient de tirer profit de la situation actuelle pour attirer davantage d’attention sur soi-même et pour rappeler à Moscou le coût que représente leur allégeance politique. C’est ainsi que le président Rahmon a souligné à l’occasion du sommet « Russie-Asie centrale » du 14 octobre 2022 que si le Tadjikistan a « toujours respecté […] les intérêts de [son] principal partenaire stratégique », il veut « être respecté en retour » et « être pris pour [un égal] », avant de rappeler la nécessité d’investir davantage dans son économie.

À cet égard, ces remarques visent principalement à rééquilibrer les rapports avec la Russie en lui rappelant l’importance de son soutien en ce moment critique. En retour, Moscou se contente du positionnement neutre des États d’Asie centrale et reste consciente qu’elle n’obtiendra pas d’eux la reconnaissance des territoires ukrainiens annexés en tant que russes. Toujours dans la même optique, le président Poutine a multiplié ses visites dans les pays de la région avec environ 50 rencontres, en ligne ou en présentiel, en 2020 (Oumarov, 2022), démontrant ainsi son estime de leur soutien. C’est aussi en Asie centrale, plus particulièrement au Kirghizstan, que Poutine s’est rendu en octobre 2023 lors de son premier déplacement à l’étranger depuis que la CPI avait émis un mandat d’arrêt contre lui.

La volonté de marquer une certaine distance avec la Russie s’est également traduite par le rejet, du moins formel, de son initiative d’établir, conjointement avec le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, une Union gazière. En effet, cette proposition a été initialement accueillie avec beaucoup de méfiance par les élites politiques des deux États qui, sans rejeter l’idée de la coopération en matière gazière en soi, se sont exprimés contre l’institutionnalisation de ce projet sous forme d’une union. Toutefois, en janvier 2023, avec les difficultés éprouvées par les États de la région en matière d’approvisionnement du gaz, les deux pays ont signé une Feuille de route sur l’acheminement du gaz russe vers l’Ouzbékistan par le territoire du Kazakhstan par Gazprom et les livraisons du gaz russe vers ces deux pays ont débuté en octobre 2023.

Afin de renforcer davantage leur posture, les États d’Asie centrale multiplient des rencontres avec les partenaires étrangers afin d’atténuer leur dépendance vis-à-vis de Moscou. Si les chefs d’État des pays de la région ont tous les cinq rejoint le président russe lors des célébrations du 9 mai en 2023, une fête nationale au symbolisme très marqué, ils ont aussi accueilli Joseph Borrel, le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, en novembre 2022 et le secrétaire d’État américain Antony Blinken du 28 février au 1er mars 2023. De surcroît, ils ont participé au premier sommet Chine – Asie centrale tenu en présentiel en mai 2023 et au 10e sommet de l’Organisation des États turciques le 3 novembre 2023, organisé à Astana. Pour Pékin en particulier, l’Asie centrale constitue un maillon essentiel de la route terrestre de son projet phare Belt and Road Initiative. A cet effet, la Chine a développé des liens économiques forts avec les États de la région, profitant dans une certaine mesure du retrait de la Russie, et a noué par ailleurs des « partenariats stratégiques » avec tous les pays de la région. Finalement, quant à la France, Emmanuel Macron, après avoir accueilli sur le sol français les présidents Chavkhat Mirziyoyev et Kassym-Jomart Tokaïev en novembre 2022, s’est rendu à son tour en ce novembre 2023 au Kazakhstan et en Ouzbékistan afin d’approfondir la coopération économique et politique entre leurs États. 

Un nouvel élan pour la coopération intrarégionale ?

Les transformations du régionalisme sponsorisé par la Russie dans le contexte de la guerre en Ukraine renforcent chez les cinq États centrasiatiques la prise de conscience concernant la nécessité de développer la coopération intrarégionale indépendamment des acteurs extérieurs pour représenter leur intérêt commun. Les premières tentatives de la coopération intrarégionale institutionnalisée en Asie centrale ont eu lieu dès les années 1990 avec la Communauté économique centrasiatique et l’Organisation de la coopération centrasiatique, mais ces initiatives ont été freinées, entre autres, par le manque de volonté politique chez les dirigeants des pays de la région et par la volonté de Moscou d’assurer sa mainmise sur le développement politique de l’Asie centrale.

Ce n’est qu’à partir de 2016, avec l’arrivée au pouvoir en Ouzbékistan de Chavkat Mirziyoyev et la politique d’ouverture qu’il a entreprise, que la coopération régionale a reçu un nouvel élan. Celle-ci s’est concrétisée en 2018 par l’établissement des rencontres consultatives des chefs d’État d’Asie centrale, motivée par une volonté de « résoudre les problèmes de l’Asie centrale par [ses] propres forces, sans tierce personne ».

Depuis lors, cinq rencontres ont eu lieu, dont la dernière en septembre 2023 à Douchanbé au Tadjikistan. La rencontre précédente du juillet 2022 a été la première après le début de l’invasion russe à grande échelle et elle a abouti en la signature du Traité sur l’amitié, le bon voisinage et la coopération pour le développement de l’Asie centrale au XXIe siècle, marquant selon le président Tokaïev « une nouvelle étape dans le partenariat stratégique » entre les cinq États de la région. Par ailleurs, une Feuille de route pour le développement de la coopération régionale en 2022-2024, le Programme régional « Agenda vert » pour l’Asie centrale, ainsi que la Conception de la coopération des États d’Asie centrale dans le cadre des formats multilatéraux ont été adoptés à la suite de cette rencontre.

Par ailleurs, des progrès importants ont été faits en matière de résolution des différends régionaux, notamment sur le plan de la délimitation des frontières. Fin décembre 2022, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan ont conclu le Traité d’alliance et le Traité sur la démarcation de la frontière, accompagnés de quinze documents supplémentaires sur la coopération dans tous les domaines. De plus, des accords commerciaux et d’investissements d’un montant de 8 milliards de dollars ont été signés à l’échelle des gouvernements et des ministères des deux États. Également, le 27 janvier 2023, lors du déplacement vers le Kirghizstan du président Mirziyoyev, ont été finalisés les travaux de la délimitation de la frontière entre le Kirghizstan et l’Ouzbékistan et un traité sur le partenariat stratégique a été conclu entre les deux pays. Toujours dans le cadre de la politique régionale du président ouzbékistanais, le différend majeur avec le Tadjikistan sur la construction de la centrale de Rogoun a été en grande partie résolu et en juin 2022, les deux États ont signé un mémorandum d’intention sur les exportations de l’électricité vers l’Ouzbékistan. À son tour, cela débloque potentiellement la réalisation du projet CASA-1000 qui a pour but de faciliter les livraisons d’électricité en Asie centrale et, dans un plus long terme, de contribuer à la création du marché régional d’électricité d’Asie centrale en ouvrant des débouchés vers l’Asie du Sud.

Cependant, la coopération intrarégionale en Asie centrale demeure plus déclarative que concrète et rencontre toujours plusieurs obstacles non négligeables, dont un litige territorial majeur entre le Kirghizstan et le Tadjikistan. Plus d’une centaine d’incidents frontaliers d’intensité variable sont survenus sur la frontière entre deux États depuis la chute de l’URSS et le dernier en date a eu lieu en mi-septembre 2022 et a été marqué par un emploi de l’artillerie lourde particulièrement inquiétant (Ferrando, 2022).

De plus, la faible connectivité régionale empêche le développement des liens commerciaux durables entre les États de la région. Reconnaissant l’importance stratégique pour la coopération régionale de la mise en place des infrastructures de transport et de livraison d’hydrocarbures, les États d’Asie centrale s’efforcent de promouvoir plusieurs projets en ce sens. Or, leur réalisation est freinée par un criant manque de financement. C’est par exemple le cas du projet de construction d’un chemin de fer reliant la Chine, le Kirghizstan et l’Ouzbékistan, dont le coût est estimé à environ 5 milliards de dollars. Alors que le Kirghizstan n’est pas en mesure de financer ce projet, l’ambassadrice de Chine en Ouzbékistan a rappelé qu’il s’agissait d’« un projet commun qui [devrait] par conséquent être mis en œuvre par des efforts communs ». De même, le projet de construction d’un gazoduc reliant le Turkménistan, l’Afghanistan, le Pakistan, ainsi que l’Inde (TAPI) a vu la Banque asiatique de développement (ABD), son principal bailleur, se retirer à la suite de l’arrivée des taliban au pouvoir en Afghanistan en été 2021. Aussi, si le commerce intrarégional semble s’intensifier ces dernières années, sa part dans le volume total des échanges commerciaux extérieurs des Etas d’Asie centrale reste moins importante en comparaison avec la part des pays comme la Chine et la Russie (Mamedov, 2023).

Conclusion

Les relations entre les États d’Asie centrale et la Russie sont conditionnées moins par les institutions multilatérales promues par la Russie et davantage par des liens bilatéraux forts qu’ils entretiennent avec Moscou. La guerre en Ukraine a poussé les États d’Asie centrale à réviser leurs priorités en matière de coopération multilatérale et à interroger la pertinence et l’efficacité des institutions régionales promues par la Russie. Si les pays de la région ne sont pas amenés – et ne cherchent pas forcément – à marquer une rupture avec celle-ci, pour des raisons politiques et celles d’intérêt économique, la situation actuelle leur fournit toutefois une occasion de rehausser leur posture vis-à-vis de la Russie et de s’investir davantage dans la coopération intrarégionale. Certes, la coopération intrarégionale n’est pas pour le moment en mesure de compenser leur dépendance de la Russie, car de nombreux obstacles persistent encore. Or, la mise en commun de leurs poids politiques constituerait une stratégie optimale pour les États d’Asie centrale – complémentaire à la diversification des partenariats extérieurs – afin de préserver au mieux leur agentivité politique dans le contexte des tensions croissantes à l’échelle internationale.

Bibliographie/Références

Alexeeva, O.V. et Lasserre, F. (2022). Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai à Samarcande, ou les conséquences de l’invasion de l’Ukraine sur l’Asie centrale. Revue internationale et stratégique, 4(128), pp. 17-27.

Facon, I. (2021). La nouvelle armée russe. Paris/Moscou : L’Inventaire.

Ferrando, O. (2022). Kirghizistan et Tadjikistan : les effets funestes de la militarisation des frontières. The Conversation, [en ligne] (mis à jour le 3 octobre 2022). Disponible à : <https://theconversation.com/kirghizstan-et-tadjikistan-les-effets-funestes-de-la-militarisation-des-frontieres-191379 [consulté le 15 mars 2023].

Levystone, M. (2022) La connectivité centrasiatique au révélateur des crises internationales. Les transports, l’énergie et l’eau entre interdépendance et désenclavements. Études de l’IFRI, Russie.NEI.Reports, novembre 2022 [en ligne] Disponible à : < https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/levystone_connectivite_asie_centrale_2022.pdf [consulté le 15 mars 2023].

Malachenko, A. (2012). Центральная Азия: на что рассчитывает Россия?. Moscou : ROSSPEN.

Mamedov, I. (2023). How to Change Regional Geopolitical Structure in Central Asia?. Cabar Asia, [en ligne] (mis à jour le 10 mars 2023). Disponible à : < https://cabar.asia/en/how-to-change-regional-geopolitical-structure-in-central-asia (consulté le 15 mars 2023).

Oumarov, T. (2022), Russia and Central Asia: Never Closer, or Drifting Apart?. Carnegie Politika, [en ligne] (mise à jour 23 décembre 2022). Disponible à : <https://carnegieendowment.org/politika/88698 [consulté le 15 mars 2023].

Pour citer ce document :
Aleksandra Bolonina, "Le dilemme politique de l’Asie centrale. Le multilatéralisme en recomposition en Asie centrale à l’aune de la guerre en Ukraine". Journal du multilatéralisme, ISSN 2825-6107 [en ligne], 15.11.2023, https://observatoire-multilateralisme.fr/publications/le-dilemme-politique-de-lasie-centrale/