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Le 9ème Sommet des Amériques

LE 23.06.2022

President Biden with leaders of the Americas during the Ninth Summit of the Americas, 2022. Office of the President of the United States, Public domain, via Wikimedia Commons. 

La fin de l’hégémonie états-unienne en Amérique latine ?

Alice Marillier

Alice Marillier est étudiante au sein du master Paix, action humanitaire et développement de Sciences Po Lille, spécialisé dans l’étude de la gestion de conflits et des questions de développement.

Du 6 au 10 juin 2022, s’est tenue la 9ème édition du Sommet des Amériques à Los Angeles. Intitulée “Construire un futur durable, résilient et équitable”, cette rencontre des dirigeants américains étalée sur quatre jours était l’occasion de discuter des thèmes comme l’environnement, la pandémie et les politiques sociales.

Les Sommets des Amériques ont été créés dans les années 1990 sous l’administration Clinton dans un contexte d’essor du multilatéralisme. Le but affiché était de favoriser le dialogue au niveau continental et surtout entre les chefs d’Etat d’Amérique latine et des Caraïbes et le président états-unien. Suite au premier sommet à Miami en 1994, des rencontres ont été organisées tous les trois ou quatre ans sur tout le continent.

Une opportunité ratée pour les Etats-Unis de Joe Biden 

Le continent américain a été touché de plein fouet par la pandémie de Covid-19 et connaît aujourd’hui sa “plus grande crise économique en 120 ans”. Face à ce contexte alarmant, le 9ème Sommet des Amériques était perçu comme l’opportunité pour les Etats américains de joindre leur force pour surmonter les difficultés actuelles. Quant aux Etats-Unis, la réunion était l’occasion idéale pour Joe Biden de renouer avec ses voisins du Sud après un mandat trumpien désastreux pour les relations entre les Etats-Unis et l’Amérique latine. Le Président Trump avait d’ailleurs boycotté le dernier Sommet des Amériques à Lima en 2018. Enfin, le Sommet avait une portée stratégique pour les Etats-Unis : se réaffirmer en Amérique latine face à l’influence chinoise croissante.

Toutefois, l’annonce par Washington de l’exclusion de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua pour leur non-respect de la démocratie s’est soldée par une “débâcle diplomatique”. Le Président mexicain, Andrés Manuel Lopez Obrador, a boycotté la réunion et les Etats-Unis ont été durement critiqués par les chefs d’Etat présents.

Flux migratoires et liens commerciaux au centre des débats 

La question migratoire était en haut de l’ordre du jour pour Washington. Le sommet a débouché sur la signature de la Déclaration de Los Angeles par 20 pays. Cette déclaration est vue comme un petit progrès dans la gestion des flux migratoires. Les Etats-Unis se sont notamment engagés à accueillir 20 000 réfugiés latinoaméricains en 2023-2024 (le triple de 2022) et à financer 314 millions de dollars d’assistance humanitaire, surtout pour les migrants vénézuéliens. D’autres pays ont aussi promis de mettre en place des mesures de gestion des flux migratoires comme le Belize, le Costa Rica, le Mexique ou le Canada.

L’autre volet majeur à l’ordre du jour était le Partenariat américain pour la prospérité économique. Diverses nouvelles réglementations seront mises en place suite au sommet, notamment dans les domaines de l’environnement, du travail et du numérique. Toutefois, les négociations n’ont pas débouché sur un meilleur accès au marché états-unien pour les Etats latinoaméricains, contrairement à leurs espérances. En outre, les pays intéressés par un accord de libre-échange avec les Etats-Unis n’ont pas vu leur projet se concrétiser. Les avancements en matière économique sont donc limités.

Quelques aspects positifs du sommet sont néanmoins à souligner. Dans le domaine de la santé, les pays se sont engagés à renforcer les systèmes sanitaires de la région pour faire face aux pandémies à l’avenir. Un accord innovant sur la coopération alimentaire a aussi été signé par les Etats-Unis, l’Argentine, le Brésil et le Mexique pour améliorer la sécurité alimentaire du continent.

L’échec de ce sommet, symbole de la perte d’influence états-unienne en Amérique latine 

Comme l’indique Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes, « Le sommet de Los Angeles était censé mettre en avant cette nouvelle ambition de Biden pour l’Amérique latine. Il a surtout mis en avant sa paralysie ». Alors que Washington avait présenté cette 9ème édition comme un sommet “inclusif”, seuls 23 dirigeants ont participé (contre 34 en 2015 au Panama). Le fiasco des invitations symbolise la perte d’influence du discours états-unien sur la démocratie. La puissance hégémonique états-unienne se trouve aujourd’hui en déclin en Amérique latine.

Un pays au centre des préoccupations n’a pas été mentionné durant le sommet : la Chine. Les Etats-Unis ont démontré les limites de leur politique face à ce puissant concurrent. Par exemple, ils ont refusé de signer un accord de libre-échange avec l’Equateur, pays pourtant en cours de rapprochement avec la République Populaire de Chine. Cette dernière, au contraire, saisit toutes les occasions pour étendre son pouvoir de marché sur le continent américain et signe de nombreux accords de libre-échange. Elle occupe ainsi progressivement la place abandonnée par les Etats-Unis. La plupart des Etats latinoaméricains mènent, quant à eux,  une politique de “non-alignement actif”. Ils entretiennent ainsi une diplomatie d’équidistance entre les grandes puissances. Ils mettent en avant leur intérêt national et se rapprochent ponctuellement de l’une ou l’autre des puissances en fonction de cet intérêt. Le nouveau cycle politique qui s’ouvre en Amérique latine avec l’élection de dirigeants progressistes (Boric au Chili, Pétro en Colombie et Lula au Brésil) pourrait marquer une opportunité de coordination régionale et de renforcement de cette politique étrangère du non-alignement.

Pour citer ce document :
Alice Marillier, "Le 9ème Sommet des Amériques. La fin de l’hégémonie états-unienne en Amérique latine ?". Décryptage de l'actualité [en ligne], 23.06.2022, https://observatoire-multilateralisme.fr/publications/le-9eme-sommet-des-ameriques/