Publication - OI

Jeu de rôles et organisations internationales

simulation OI Geneve
LE 30.10.2023

Photo de la simulation jouée par les practicien·ne·s des organisations internationale, Genève, le 19 mai 2022. ©Carine Conti.

Quand l’université participe au rapprochement entre humanitaire et développement

Audrey Adehossi, Maëlle André, Zoé Cheli, Carine Conti, Grégory Cossy, Marine Gaillard, Charlotte Grand, Laura Jacquemet, Pauline Jonin, Lucile Maertens et Massimo Pico

Audrey Adehossi : étudiante, Université de Lausanne
Maëlle André : étudiante, Université de Lausanne
Zoé Cheli : collaboratrice de recherche, Université de Lausanne
Carine Conti : étudiante, Université de Lausanne
Grégory Cossy : étudiant, Université de Lausanne
Marine Gaillard : étudiante, Université de Lausanne
Charlotte Grand : étudiante, Université de Lausanne
Laura Jacquemet : étudiante, Université de Lausanne
Pauline Jonin : étudiante, Université de Lausanne
Lucile Maertens : Professeure adjointe, Institut des hautes études internationales et du développement
Massimo Pico : étudiant, Université de Lausanne

Les organisations internationales (OI) regroupent différents champs professionnels qui répondent à des pratiques et spécificités propres à leurs domaines d’action respectifs. Il est ainsi courant de distinguer les practicien·ne·s travaillant sur des objectifs à court terme, associés aux urgences humanitaires par exemple, et celles et ceux qui se consacrent à des projets à long terme, comme en matière de développement durable. Certaines situations impliquent un chevauchement de leurs activités, conduisant différents corps de métier au sein des OI à collaborer en dépit de divergences en termes de priorités, méthodes et capacités.
Dans un contexte où la multiplication des crises internationales mobilise toujours davantage ces organisations, comment encourager une compréhension mutuelle entre différents champs professionnels et faciliter la coopération inter-organisationnelle ? Le jeu de rôle est une voie explorée dans cette contribution collective qui présente un projet pédagogique réalisé dans le cadre d’un cours de Master à l’Université de Lausanne au cours duquel les étudiant·e·s ont élaboré une simulation pour des practicien·ne·s du développement et de l’humanitaire. Cette expérience permet non seulement le rapprochement de ces deux sphères en leur permettant d’échanger temporairement leur rôle mais aussi de favoriser un échange constructif entre le monde universitaire et celui de la pratique.

Introduction

Les organisations internationales (OI) sont un objet de recherche exploré dans de nombreuses disciplines, en droit international, histoire, science politique, sociologie, relations internationales comme en anthropologie ou encore en géographie humaine. Depuis plusieurs décennies, le monde académique a ainsi généré des savoirs variés tentant tout d’abord d’expliquer le rôle des OI en tant qu’espaces de coopération interétatique, puis cherchant à comprendre leur fonctionnement interne. En dépit des nombreux travaux de recherche publiés chaque année sur les OI, rares sont ceux qui atteignent les personnes les plus concernées, à savoir le personnel de ces organisations, les diplomates au sein des missions permanentes ou encore les individus gravitant dans et autour des arènes multilatérales. Bien que ces personnes aient souvent suivi un cursus universitaire, les travaux récents ne sont que rarement « traduits » pour permettre leur circulation auprès des practicien·ne·s qui ne peuvent consacrer un temps conséquent à la lecture de la littérature académique ; a contrario, les universitaires n’ont pas toujours les moyens ni le temps de réaliser ce travail de traduction de leurs conclusions de sorte que la distance critique acquise par la recherche puisse en retour nourrir les changements de pratiques au sein des organisations étudiées. Le projet présenté ci-après propose une activité visant à surmonter ce paradoxe et à faciliter non seulement l’échange entre le monde académique et le monde de la pratique, mais aussi le dialogue inter-organisationnel. En effet, conçue comme un projet professionnalisant pour les étudiant·e·s, la simulation avait également pour but d’intervenir directement auprès du personnel des OI en proposant un jeu de rôle permettant à des praticien·ne·s du domaine de l’humanitaire d’urgence d’échanger leur rôle avec leurs partenaires intervenant dans le développement durable. Les préparatifs et la réalisation de ce jeu de rôle ont constitué un espace d’échange riche pour toutes les parties prenantes.

Un outil pédagogique pour une expérience concrète des organisations internationales

Lorsque l’on entame un diplôme universitaire en science politique et relations internationales, le programme d’étude aborde souvent dans un premier temps le fonctionnement de la gouvernance mondiale et la diversité d’acteur·ice·s qui composent les espaces de construction de la politique internationale. À mesure que le cursus académique se poursuit, les étudiant·e·s acquièrent des savoirs sur les OI, généralement consolidés par un système d’évaluation standard lors d’examens, de présentations et de travaux de recherche individuels ou de groupe. Si les connaissances assimilées permettent de développer une solide assise théorique, l’opportunité d’avoir une vision concrète de la réalité du terrain n’est généralement pas proposée aux étudiant·e·s, qui ne peuvent aspirer à découvrir ce que signifie travailler au sein d’une OI qu’une fois leur formation académique terminée ou à travers la réalisation d’un stage durant leur cursus. Ainsi, les limites des apports essentiellement théoriques sur les OI sont généralement comblées par la mise en pratique des connaissances au sein d’une OI (lorsque l’on a la chance d’obtenir une place), à défaut de pouvoir représenter plus concrètement le travail au sein de ces organisations à l’université.

Pour rapprocher le monde estudiantin et le monde des OI, des dispositifs innovants doivent être mis en œuvre. La création d’une simulation par une classe de Master à destination du personnel des OI, en est un exemple. Pendant un semestre, les étudiant·e·s d’un même enseignement ont créé un jeu de rôles pour des professionnel·le·s des OI qui ont participé à l’expérience à la fin du semestre (pour une restitution détaillée de cette expérience et du travail préparatif de l’équipe enseignante, voir Maertens et Cheli, 2023). En tant qu’outil pédagogique « d’apprentissage actif », les simulations et jeux de rôles constituent un exercice efficace pour favoriser cette rencontre entre les deux mondes. Le contact avec des praticien·ne·s tout au long du processus de création par le biais d’entretiens et d’intervention, ainsi que la rencontre avec ces derniers le jour de la simulation rendent possible ce rapprochement. Par ailleurs, les études en pédagogie universitaire montrent un lien positif entre l’apprentissage des étudiant·e·s et les exercices de simulation (Smith et Boyer, 1996 ; Shaw, 2004 ; Asal et Blake, 2006 ; Krain et Lantis, 2006). De nombreux avantages découlent de cette pratique tels que le développement d’aptitudes en matière de communication (Kokotsaki, Menzies et Wiggins, 2016), la stimulation de la pensée critique (Harvey, 2022) ou encore l’amélioration de la compréhension de certains sujets complexes (Shellman et Turan, 2006). Afin de créer un jeu de rôle réaliste, le projet de simulation offre aux étudiant·e·s l’opportunité d’explorer en profondeur les pratiques quotidiennes de la gouvernance mondiale. Cette approche pédagogique relève d’une démarche active de création et d’apprentissage en équipe se démarquant des positions plus passives de lectures et de retransmissions qui sont la norme dans beaucoup de cours universitaires. Tant par le travail de recherche qu’il demande que par sa réalisation jour de la simulation, le projet leur permet d’acquérir une expérience professionnalisante précieuse. Après avoir justifié le choix des praticien·ne·s sur lequel s’est focalisé le jeu de rôle – à savoir les acteur·ice·s du monde de l’humanitaire d’urgence d’une part, et le personnel des organisations travaillant dans le domaine du développement d’autre part –, nous présentons comment ce projet a permis de favoriser, sur la base de travaux académiques, la coopération inter-organisationnelle tout en créant des ponts entre le monde universitaire et celui des OI.

Co-construire un espace de dialogue

Bien que les domaines de l’aide au développement et de l’intervention humanitaire soient souvent associés, voire confondus, dans l’image que le grand public se fait de l’action des OI sur le terrain, le personnel travaillant dans ces deux milieux effectue des tâches bien distinctes. La littérature souligne ces différences, notamment en matière de temporalité, l’un se consacrant à l’action d’urgence et planifiant son intervention sur le court terme, tandis que l’autre s’emploie à réaliser des projets sur le plus long terme (Verlin, 2021). L’aide humanitaire a pour but d’apporter un soutien aux populations confrontées à une crise (plus ou moins) inattendue, tant à la suite d’événements d’origine naturelle, comme un phénomène météorologique extrême, que politique, en premier lieu les conflits armés. L’action des organisations humanitaires est le plus souvent temporaire en réponse aux besoins immédiats. Pour leur part, les organisations de développement mettent en place des programmes d’action sur un temps plus long visant des effets de transformation des sociétés. Leurs projets sont souvent pensés comme contribuant à la réalisation des Objectifs de développement durable et s’incarnent, par exemple, dans des programmes de soutien aux activités économiques ou de construction d’infrastructures. Depuis plusieurs années déjà, des projets de rapprochement de ces deux mondes, notamment autour de l’idée de nexus humanitaire-développement (Lie, 2020), ont émergé afin de mieux aligner leurs objectifs et de faciliter la coopération sur le terrain. La mise en cohérence à travers la réforme du système humanitaire onusien et le séquençage des responsabilités entre organisations participent à ce rapprochement. Toutefois, le quotidien des practicien·ne·s reste gouverné par des logiques d’action différentes (Kimber et Maertens, 2021 ; Kranke, 2022).

Les mondes de l’humanitaire et du développement ​sont en effet chacun régis par des pratiques professionnelles propres, c’est-à-dire des manières de faire qui sont socialement établies, organisées et institutionnalisées (Thérien et Pouliot, 2023 : 47), et qui sont reconnues et comprises par leurs membres respectifs. Le projet de simulation s’appuie sur ce constat et exploite les différences en termes de pratiques et de temporalité de l’action pour tenter de rapprocher ces deux mondes. Pour ce faire, la simulation prévoit que les participant·e·s échangent leurs rôles. En d’autres termes, il s’agit d’incarner un personnage fictif issu du domaine opposé au leur. Ainsi, les professionnel·le·s du développement jouent un personnage appartenant au milieu humanitaire et vice-versa. En devant réaliser les tâches quotidiennes de leurs partenaires de l’autre champ professionnel, ils et elles adoptent une perspective nouvelle sur une situation fictive, mais réaliste. Le scénario élaboré met en jeu des organisations de l’aide humanitaire d’urgence amenées à intervenir à la suite d’une tempête tropicale (fictive) en Haïti et des organisations de développement dont le projet doit être repensé à la suite du désastre. Les participant·e·s, en se positionnant dans une temporalité et réalité professionnelles différentes de la leur, sont incité·e·s à réfléchir aux diverses contraintes régissant le quotidien des corps de métier opposés au leur. Cet échange de perspective vise à faciliter une meilleure compréhension interprofessionnelle et inter-organisationnelle, tout en permettant à chaque participant·e de développer un regard critique et de réfléchir sur leurs propres pratiques quotidiennes.

Pour développer le scénario de cette simulation, il importe, premièrement, de développer les connaissances des étudiant·e·s sur le cas d’étude. Le visionnage du documentaire Assistance Mortelle de Raoul Peck a tout d’abord permis de mieux appréhender les enjeux des interventions humanitaires, notamment en matière de coopération et de coordination entre les nombreuses organisations présentes. Cette première prise de contact aux enjeux de l’interventionnisme international a ensuite été enrichie de recherches documentaires et des présentations ex cathedra portant sur diverses dimensions telles que la hiérarchie au sein et entre les OI, leurs fonctions et structures, les relations entre le siège et les opérations sur le terrain, ainsi que les défis liés aux temporalités et aux contextes locaux dans les domaines de l’humanitaire et du développement. La conduite d’entretiens auprès du personnel issu de différentes organisations bénéficiant d’une expérience de terrain a permis ensuite d’élaborer les personnages qui figurent dans le scénario. Une fois la structure de base du scénario déterminée, un atelier de présentation intermédiaire en présence d’expert·e·s et de professionnel·le·s des OI a contribué à rendre le scénario et les personnages aussi réalistes que possible. Enfin, une dernière relecture minutieuse a permis de garantir la cohérence de l’ensemble des documents ainsi que l’exactitude des informations et du scénario. Ces différentes étapes de création sont ainsi au cœur du dispositif d’apprentissage : les étudiant·e·s approchent les OI en créant un scénario qui l’imite. En reproduisant ces champs professionnels par et pour la simulation, ces dernier·ère·s bénéficient d’une porte d’entrée originale vers le monde des OI.

Diffuser les savoirs et favoriser la coopération inter-organisationnelle

La simulation est l’occasion pour les praticien·ne·s de sortir de leur routine et de leur cercle d’action habituel. Le travail de recherche et de construction de la simulation préalablement effectué permet, en effet, de faire émerger des questionnements sur lesquels les professionnel·le·s des OI n’ont pas nécessairement l’occasion de se pencher, d’une part par manque de temps et, d’autre part, par manque d’incitation à engager un dialogue avancé avec le monde académique. Les problématiques identifiées par le monde académique sont à la base de la construction du scénario. À travers son déroulement et par la gestion d’une situation fictive concrète, les praticien·e·s sont directement confronté·e·s aux enjeux et contraintes auxquels font quotidiennement face leurs collègues tout en prenant connaissance du regard que le monde de la recherche universitaire pose sur leurs actions. Pour les convaincre de participer à l’exercice malgré leur emploi du temps chargé, l’équipe enseignante a mobilisé différentes techniques (voir Maertens et Cheli 2023). Elle s’est d’abord appuyée sur son propre réseau, construit sur la base de plus de dix années de recherche sur les OI, et les personnes qui ont accepté de participer en premier lieu ont été sollicitées pour mobiliser des collègues. Elle a également pris contact avec un organisme de formation destiné aux humanitaires qui a fait circuler l’invitation. Pour souligner l’intérêt de la simulation et permettre aux participant·e·s de justifier les heures de travail mobilisées, l’équipe enseignante a présenté la participation comme une formation et comme une occasion de nourrir son réseau professionnel. Enfin, la durée de la simulation a été limitée à deux heures. Il est également à noter que le projet a pu profiter de la proximité entre l’Université de Lausanne et la Genève internationale,

Pour des acteur·ice·s de l’humanitaire, ce genre d’exercice constitue une occasion opportune de s’inscrire dans une logique temporelle plus lente et de longue durée que l’urgence à laquelle ils et elles ont l’habitude dans leur quotidien. Dans cette logique de moyen/long-terme, la catastrophe ne sert pas de déclencheur de l’action, comme c’est souvent le cas dans l’humanitaire, mais vient perturber un projet et des plans établis dans une situation qui devient alors obsolète. Cette nécessaire adaptation du projet à un contexte totalement changé est un exercice intéressant pour des professionnel·le·s amorçant en général leurs activités dès lors que ce changement de contexte intervient. Aussi, font-ils et elles l’expérience des rapports entretenus avec les bailleurs de fonds, de la nécessaire projection des résultats à plusieurs années et des procédures bureaucratiques de planification et de gestion de projet. Enfin, la logique de long-terme expose des enjeux différents de ceux auxquels le personnel humanitaire est confronté, qu’il s’agisse de durabilité écologique, de justice sociale et environnementale, ou encore du rapport aux « bénéficiaires » de leurs programmes. Les participant·e·s travaillant dans le monde humanitaire ont ainsi fait part de la « mentalité de travail » (retour d’une participante) différente qu’il avait fallu adopter et les apprentissages qu’ils et elles en avaient fait.

À l’inverse, la simulation place les professionnel·le·s du développement dans une situation de stress accru et leur impose une prise de décision rapide. La logique d’urgence et de court-terme à laquelle la simulation les confronte diverge grandement de celle qui régit la mise en place d’un projet de développement, dont la planification se déroule souvent sur plusieurs mois, voire années. Aussi n’est-il pas étonnant que les professionnelles du développement ayant participé à la simulation aient mentionné la difficulté qu’elles avaient éprouvée face au « stress dans lequel le personnel humanitaire doit prendre des décisions » (retour d’une participante), ce alors même qu’elles se pensaient habituées aux échéances serrées. La catastrophe à laquelle il leur est demandé de répondre les incite aussi à faire des concessions et des compromis certainement plus conséquents que dans une situation non-urgente, où le temps consacré à la négociation est bien plus long. De surcroît, le scénario requiert d’avancer rapidement dans une situation marquée par une information grandement incomplète et pleine d’incertitudes, tranchant encore une fois avec le quotidien plus prévisible qui caractérise le monde du développement. Enfin, le monde de l’humanitaire est fortement plurisectoriel et la palette d’éléments à prendre en considération lorsque l’on met sur pied une réponse d’urgence est très variée.

De manière plus générale, ce genre d’exercice permet l’élargissement du spectre de connaissances et d’expériences du personnel des OI. Grâce à cette simulation, les acteur·ice·s du nexus humanitaire-développement peuvent acquérir une meilleure compréhension du quotidien de leurs homologues et parvenir à une meilleure collaboration entre des organisations qui, bien qu’elles agissent selon des logiques et des temporalités différentes, n’en déploient pas moins souvent leurs opérations dans des zones identiques et à destination des mêmes populations.

Créer des ponts entre l’université et le monde des OI

Si la conception de la simulation peut favoriser l’apprentissage des concepts théoriques en les animant et en les abordant par un angle original, cette expérience permet, de surcroît, aux étudiant·e·s d’acquérir diverses compétences substantielles. Sur le plan méthodologique, l’élaboration d’un scénario, de personnages et du matériel de support crédibles et pertinents nécessite l’emploi d’une variété d’outils de recherche : recherche bibliographique puis documentaire, réalisation d’entretiens avec des membres du personnel des OI, rédaction synthétique des documents à destination des participant·e·s pour rendre les informations intelligibles dans le temps imparti, etc. Les nécessaires efforts de synthèse et de mise en cohérence des informations théoriques ainsi acquises les incitent également à adopter une perspective globale et incarnée du monde des OI, puisqu’il faut parvenir à un dispositif abordant les spécificités des deux sphères professionnelles de manière collaborative. Les recherches approfondies des uns et des unes sont mises en commun, permettant, dans un même temps, de démystifier le fonctionnement de ces organisations, mais également d’aboutir à une vision réaliste du travail quotidien de leur personnel. Pour les étudiant·e·s, le savoir au sujet des OI passe d’un point de vue théorique à celui de l’expérience et de l’expérimentation. Celles et ceux envisageant leur futur professionnel dans ce cadre, l’élaboration de la simulation ont donc ainsi l’opportunité d’établir un contact concret avec ce dernier.

Par ailleurs, les travaux que réalisent les étudiant·e·s durant leur cursus universitaire consistent généralement en des rendus écrits, qui tombent souvent dans l’oubli. L’existence sociale de ces travaux se limite la plupart du temps à une présentation devant leurs camarades et la correction des enseignant·e·s, avant de disparaître dans les tréfonds d’une bibliothèque ou d’un ordinateur. A contrario, l’organisation d’un jeu de rôle permet un apprentissage dynamique sur les OI et des outputs sous de multiples formes, dont la durée de vie dépasse la fin de l’enseignement. Dans le cas d’espèce, outre la production d’un scénario et d’un kit de simulation qui pourraient être réemployé, les étudiant·e·s ont documenté cette expérience, en produisant notamment des articles de presse, des podcasts et même une vidéo. Ces créations synthétiques et interactives ont facilité la communication de leurs activités universitaires auprès d’un public plus large, en étant publiées sur diverses plateformes en ligne (l’ensemble des productions est disponible sur cette page). Ce moyen a également permis une diffusion auprès des ami·e·s, de la famille ou encore de servir de carte de visite auprès de leur futur employeur. Ces acteur·ice·s  externes à l’université ont ainsi pu apprécier certains des enjeux concrets du travail des praticien·ne·s du développement et de l’humanitaire.

Enfin, il est à souligner que le travail de conception accompli par les étudiant·e·s avec le soutien de l’équipe enseignante est une contribution concrète, visant à faire évoluer la sphère des OI, à destination du personnel international. Ce projet pédagogique consacre le temps d’étude à l’élaboration d’un outil de réflexion pour les fonctionnaires des OI, une forme de parenthèse de réflexivité sur leurs propres activités. Ce faisant, le projet de simulation atteint celles et ceux que le monde académique ne parvient pas toujours à toucher pour diffuser les conclusions qu’il élabore. À cet égard, le travail des étudiant·e·s à destination du corps professionnel des OI participe donc pleinement de la mission publique de l’université, en construisant des ponts entre cette dernière et le monde des OI pour y apporter une perspective extérieure sur son travail et l’encourager, dans une certaine mesure, à s’interroger sur ses pratiques.

Conclusion : une expérience prometteuse

À la lumière des objectifs poursuivis par ce projet de simulation, l’on peut à présent s’interroger quant à leur réalisation effective. À cet égard, quelques semaines après avoir pris part à cet événement, les participant·e·s ont partagé leurs retours et ont souligné l’intérêt trouvé dans cet exercice. Si la littérature académique continue d’interroger la capacité des simulations à provoquer des apprentissages normatifs auprès des participants et participantes sur le long-terme (Edwards et al., 2019), c’est-à-dire des changements de valeurs ou d’approches, il nous est permis de croire que cette expérience a pu leur offrir un aperçu des réalités professionnelles de leurs confrères et consœurs et initier certaines réflexions. Tous et toutes ont exprimé des retours positifs quant à leur participation à cette initiative estudiantine, certain·e·s ayant également partagé leur souhait de multiplier les opportunités de tisser des liens avec les étudiant·e·s.

Pour leur part, ces dernier·ère·s ont réalisé des apprentissages sous une forme collective « dans le contexte d’une participation vécue dans le monde » (Wenger 1998, cité par Lièvre et al., 2016 : 430). Dépassant la perspective de l’apprentissage individuel souvent en vigueur à l’université, ils et elles ont ainsi développé des connaissances par un travail systématiquement mis au service du groupe. La dynamique qui s’est créée au sein de la classe lors des semaines de préparatifs et le jour de la simulation a perduré au-delà de l’enseignement. Les étudiant·e·s ont décidé de poursuivre ce projet durant les mois suivants, par des réunions visant à améliorer le kit de la simulation, faisant de celui-ci un outil prêt à l’emploi et mis à disposition des universités qui le souhaiteraient. En ce sens, cet enseignement a non seulement œuvré à stimuler la réflexion des professionnel·e·s du développement et de l’humanitaire, mais a aussi permis de faire circuler plus largement les connaissances. En définitive, cette expérience s’est révélée être un formidable exemple d’engagement des étudiant·e·s, d’acquisition active des savoirs et d’ouverture sur d’autres mondes sociaux.

 

Remerciements

Nous remercions Oliver Bublitz, Angel Jurdic, Inês Martiniano, Laure Montoya, Mehdi Rar, Yanis Rosset, Lia Toscano, Sule Yaman, Yuxuan Zhou, Melina Zumberi, Lucas Zürcher d’avoir participé à cette belle aventure collective. Nos remerciements s’adressent aussi à Baptiste Antoniazza pour son soutien tout au long de ce projet pédagogique, et l’ensemble des personnes qui ont accepté de participer à ce jeu de rôle avec bienveillance et ouverture d’esprit.

Bibliographie/Références

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Pour citer ce document :
Audrey Adehossi, Maëlle André, Zoé Cheli, Carine Conti, Grégory Cossy, Marine Gaillard, Charlotte Grand, Laura Jacquemet, Pauline Jonin, Lucile Maertens et Massimo Pico, "Jeu de rôles et organisations internationales. Quand l’université participe au rapprochement entre humanitaire et développement". Journal du multilatéralisme, ISSN 2825-6107 [en ligne], 30.10.2023, https://observatoire-multilateralisme.fr/publications/jeu-de-roles-et-organisations-internationales/