Publication - OI

Intervenir lors d’une catastrophe “naturelle”

Stratégies discursives des organisations internationales : légitimer les interventions post-catastrophe « naturelle »

Anaïs Noé

Anaïs Noé est titulaire d’un Master en Science Politique, orientation Mondialisation, de l’Université de Lausanne, ainsi que d’un Bachelor en Relations Internationales, orientation Politique Internationale de l’Université de Genève. Ses intérêts académiques portent sur l’aide humanitaire, les catastrophes « naturelles », les droits de l’enfant et les migrations.

Les catastrophes « naturelles » liées au changement climatique connaissent actuellement un accroissement majeur. Dans le même temps, les acteurs internationaux, comprenant alors les organisations internationales (OI) communiquent massivement leurs actions sur le terrain, se présentant alors en figure de secours et d’aide quant aux « victimes » des catastrophes. La communication de terrain fait partie intégrante des stratégies de légitimation des organisations qui doivent sans cesse prouver leur « droit de présence » sur le territoire en question. L’article explore ainsi comment les OI se légitiment, elles et leurs interventions, sous le prisme de l’efficacité, via l’utilisation du discours à la suite de la survenance d’une catastrophe « naturelle ».

L’article se base sur un mémoire de Master rédigé par l’autrice et s’appuie sur une étude de différentes sources (rapports annuels et de terrain des organisations, communiqués, articles Web et entretiens).

Les catastrophes « naturelles » détiennent une temporalité spécifique en trois temps comprenant la préparation, l’urgence et la réponse à l’évènement. L’Organisation des Nations Unies estime qu’actuellement la moitié des pays à l’échelle mondiale ne possèdent pas de « système d’alerte précoce multirisques » qui est un outil majeur dans l’étape de préparation (ONU Info, 2022). Ainsi, des populations et territoires subissent davantage les catastrophes « naturelles ». Les organisations internationales (OI) interviennent avec l’aval étatique pour venir en aide aux personnes touchées par l’évènement et communiquent leurs actions sur le terrain. Les communications peuvent prendre différentes formes et peuvent être transmises à la fois durant la phase d’intervention, et aussi à la suite de celle-ci. Communiquer s’inscrit ainsi au cœur des stratégies de légitimation des organisations. L’utilisation de discours est donc une des sous stratégies de légitimation de ces acteurs qui sera explorée ici en s’intéressant au cyclone Enawo touchant le territoire malgache en 2017, classé catégorie 4 sur l’échelle de Saffir-Simpson.

Les organisations internationales : acteurs clés des interventions post-catastrophe « naturelle »

Les OI font partie intégrante du paysage humanitaire à la suite d’une catastrophe « naturelle ». Elles mobilisent alors différentes ressources (par exemple humaines, financières, matérielles), pour venir au mieux en aide à la population touchée par l’évènement. Leurs actions et les « résultats » d’intervention réalisés sur place lors des interventions sont fréquemment communiqués. Cette communication permet en partie aux organisations de tenter de se légitimer sur le terrain à travers l’utilisation d’un discours précis, étant donné qu’elles évoluent dans un milieu compétitif incluant d’autres acteurs. 

L’implication de certaines agences onusiennes dans la prévention des catastrophes est relativement précoce étant donné que l’Organisation des Nations Unies a été érigée en 1945 lors de la conférence de San Francisco et que les programmes de prévention sont au cœur du travail des organisations onusiennes dès les années 1950-1960 (Revet, 2009a : 8). A partir des années 1990, « un arsenal de programmes, de normes ou de guides » va être édicté notamment par les agences onusiennes pour présenter comment réduire au mieux l’impact des catastrophes « naturelles » (Revet, 2009b : 33). Désormais, elles sont plusieurs sur le terrain et détiennent parfois des branches locales, où chacune est spécialisée dans une thématique donnée. Par exemple, le Fond des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) gère les questions de droits de l’enfant, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) celles relatives à l’alimentation, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) aide à subvenir aux besoins des personnes déplacées, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) traite des enjeux de santé etc.

Pour pallier les besoins de la population touchée les organisations travaillent parfois main dans la main, tout comme avec d’autres types d’acteurs sur le terrain que ce soit dans la prévention des catastrophes, dans l’urgence et dans le secours, ou encore dans l’après catastrophe. La gestion des catastrophes « naturelles » demande une pluridisciplinarité afin de pouvoir intervenir sur les différents moments de la catastrophe et a donc pour conséquence que ce type d’évènement détienne une place centrale dans les préoccupations internationales (Revet 2009a : 3-4). Une pluralité d’acteurs est donc présente pour intervenir dans les différentes phases d’une catastrophe (secteur public et privé, domaine humanitaire et associatif, secteur de la recherche…). Ces intervenants distincts peuvent alors être amenés à être en concurrence bien qu’une coordination soit communiquée comme priorité. La catastrophe « naturelle » devient donc un terrain de légitimation pour les OI et les autres entités via divers canaux de communication.

Selon le Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophes, ces dernières sont définies par des « ruptures graves du fonctionnement d’une communauté ou d’une société impliquant d’importants impacts et pertes humaines, matérielles, économiques ou environnementales » (UNISDR, 2009 : 13). Les ruptures résultent alors de la « combinaison » entre l’exposition à un « aléa naturel » et « les conditions de vulnérabilité de la société touchée » (Revet, 2011 : 160), d’où l’utilisation ici à dessein des guillemets pour rendre compte de la dimension bien « non-naturelle » de ces catastrophes.

Au-delà des explications susmentionnées, l’échelle internationale de la prise en charge des catastrophes « naturelles » est en partie liée à l’impact global du changement climatique. Néanmoins, il est important de mentionner que les gouvernements nationaux sont prioritaires pour répondre à une catastrophe « naturelle » localisée sur le territoire sur lesquels ils sont souverains. Il est alors nécessaire que le gouvernement demande, ou octroie une aide externe à celle de son pays (Katoch, 2006 : 155). 

Cet article porte sur l’utilisation des stratégies discursives par les OI comme véritable outil de légitimation sous la pierre angulaire de la démonstration de l’efficacité dans la communication. Il étudie en particulier l’intervention de deux OI, l’UNICEF et le PAM qui détiennent toutes deux des bureaux sur place.

Le besoin de se légitimer par des stratégies discursives

Les acteurs intervenant à la suite d’une catastrophe ne sont pas forcément ancrés sur le territoire avant leurs opérations de secours à la différence des acteurs locaux. De ce fait, ceux-ci doivent légitimer leur présence sur le terrain. La légitimité peut être définie de différentes manières mais pour cet article nous nous focaliserons alors sur celle issue de l’approche Wébérienne où la légitimité permet de « saisir les dynamiques par lesquelles une autorité, individuelle ou collective justifie son exercice du pouvoir » (Louis, Maertens, 2021 : 131). Quant à la légitimation, nous pourrions voir ce terme comme l’action qui permet d’arriver à la légitimité de l’organisation en question. 

Plusieurs stratégies peuvent être utilisées dans le processus de légitimation du fait que la légitimité est instable et est donc le fruit d’un travail continu, et qu’elle dépend également de la considération externe des politiques menées par les OI (Petiteville, 2021). L’utilisation d’un certain discours, avec par exemple l’usage d’un champ lexical précis, ou encore l’évocation de thématiques précises permet alors aux OI de diffuser un message clair autour de leurs actions sur le terrain et d’argumenter en faveur de leur présence. 

Dans cette optique, plusieurs méthodes ont été utilisées dans le cadre de la recherche : des analyses de discours et textuelles, ainsi que des entretiens. Nous avons analysé plusieurs types de documents diffusés par les OI afin de mieux comprendre comment ces dernières ont tenté de mettre en avant leur efficacité sur le terrain pour légitimer leurs interventions à la suite du cyclone Enawo à Madagascar. L’analyse de discours permet alors « aux chercheurs d’aborder les discours à la fois comme source, pour identifier ce qu’ils reflètent (normes, idéologies), ou comme une pratique, pour examiner ce qu’ils produisent (ex : discriminations, identités) » (Alejandro, Laurence, Maertens, in Badache et al, 2023 : 163). 

Afin de réaliser cette analyse nous nous sommes basés dans un premier temps sur les stratégies décrites par la recherche académique que nous avons alors regroupées sous forme de « grammaire de légitimation » (Revet, 2009b : 48). Selon Sandrine Revet, ces grammaires « répondent à différents besoins de légitimation » et permettent alors « aux organisations internationales de légitimer l’émergence, dans les années 1990, d’un espace international œuvrant dans le domaine des catastrophes et des risques « naturels » (Revet, 2009b : 50). Également, elles « s’appuient sur des ressorts à la fois politiques et scientifiques et sont véhiculées aussi bien par les acteurs internationaux eux-mêmes que par les scientifiques et « experts » qui contribuent à̀ la production de ces données et discours » (Revet, 2009b : 40-41). Dans le cadre de cet article, nous avons choisi de nous focaliser sur l’efficacité mise en avant par les acteurs pour se légitimer. Cette stratégie peut alors se traduire notamment via la légitimité performative définie comme la capacité des OI à tenir les « « promesses » de leurs mandats, à se conformer aux normes qu’elles professent, à démontrer une valeur ajoutée par rapport à l’action des États (effets d’échelle, expertise) ainsi que leur « efficacité opérationnelle » » (Petiteville, 2021 : 45-46). Selon Sandrine Revet l’argumentation relatif à la légitimité se produit notamment lors du « sauvetage des vies et de l’urgence – celle-ci étant caractérisée par une temporalité restreinte et la nécessité de l’intervention » (2009b : 44). Dans le cadre du cyclone Enawo, nous avons constaté un discours des organisations visant à démontrer leur efficacité sur le terrain suite à la catastrophe en question.

La démonstration de l’efficacité via l’utilisation du discours

La grammaire de l’efficacité se base sur l’idée selon laquelle les États seraient dans l’incapacité à gérer « seuls les « crises » provoquées par les catastrophes » (Revet, 2009b : 44) justifiant l’intervention d’acteurs externes comme les OI. Lors des interventions qui ont suivi le cyclone Enawo à Madagascar, nous avons constaté que les organisations en question illustraient leur efficacité à travers différents discours thématiques. 

Premièrement, les OI communiquent leur efficacité en explicitant leur leadership sur le terrain. Celui-ci est polymorphe car il peut apparaitre au travers des discours via des formes distinctes. Nous retrouvons un positionnement de chef de file où leur rôle est affirmé. Par exemple, lors d’un entretien avec une personne travaillant pour l’UNICEF, celle-ci explique le rôle de coordination de l’organisation. Le leadership peut être également informatif étant donné que dans ce même entretien l’entretenu.e explique que d’autres acteurs se réfèrent à l’UNICEF. Communiquer autour du fait d’équiper d’autres intervenants sur le terrain ou mettre à disposition des installations permet également d’illustrer un certain leadership sous le prisme de l’efficacité. Le PAM a notamment réalisé des opérations relatives à la communication suite au cyclone (PAM, 2017), tandis que l’UNICEF a équipé en partie le Bureau National de Gestion des Risques et des Catastrophes malgache à l’aide de drones pour visualiser les zones où les personnes pouvaient difficilement accéder pour venir en aide. L’efficacité de l’OI est donc mise en lumière à travers son rôle d’entraide et ses moyens (UNICEF, 2017). Également, l’efficacité peut aussi se traduire par une communication relative à la préconnaissance du terrain pour se légitimer. Ces connaissances peuvent être perçues comme un avantage par exemple pour une antenne locale, déjà sur place, vis-à-vis d’un acteur international présent sporadiquement qui a peu de connaissances du terrain. Lors de l’entretien avec la personne travaillant pour l’UNICEF, celle-ci évoquait qu’une concentration sur des acteurs déjà sur place était à prioriser. Également, elle mentionnait une partie de l’histoire gouvernementale lors de l’entretien. Ce discours permet alors de montrer la connaissance du contexte et ainsi une légitimité additionnelle. 

Deuxièmement, dans un but de légitimation les OI évoquent leur efficacité via une mention de chiffres au sein de leurs discours. Les données quantitatives sont quasiment omniprésentes au sein des communiqués. Nous retrouvons des chiffres dans des rapports où les OI peuvent expliciter par exemple le nombre de personnes touchées par le cyclone. Le PAM précise notamment les personnes déplacées temporairement dans des sites d’évacuation (PAM, 2017), ou encore l’UNICEF contextualise la situation via une communication autour des personnes blessées, déplacées, disparues et décédées. L’efficacité est donc au cœur des stratégies discursives car en évoquant ces différents chiffres les OI illustrent leur rôle d’informateur, mais aussi l’ampleur que leurs actions vont prendre. Les personnes aidées sont mentionnées au travers de communiqués expliquant le nombre d’individus ayant reçu par exemple un soutien relatif au WASH comme dans le cadre d’un communiqué de l’UNICEF (UNICEF, 2017). Cette efficacité peut également être démontrée dans les communiqués via une quantification de l’aide apportée où des unités telles que la tonne vont être utilisés par les OI lorsqu’elles explicitent les moyens mis en place Le PAM dans un communiqué évoquait notamment l’arrivée prochaine de « 30 tonnes de biscuits énergétiques » (PAM, 2017).

Troisièmement, la rapidité d’action permet une démonstration de l’efficacité des OI via leurs discours. Par exemple, l’UNICEF explique dans un rapport de situation sa préparation de matériel pour pouvoir agir le plus rapidement possible et répondre aux différents besoins dus à la catastrophe. Dans ce document, l’UNICEF mentionne le temps restreint dans lequel elle est intervenue (48 heures), ou encore ses mesures de préparation (UNICEF, 2017). L’efficacité préalable ou post-catastrophe de l’organisation est donc mise en avant au cœur des discours afin de démontrer l’aide apportée aux populations touchées. Tous ces éléments composent alors l’argumentation de l’efficacité des OI sur le terrain dans le contexte du cyclone Enawo. Se montrer efficace est un mécanisme parmi d’autres au sein des stratégies de légitimation des acteurs internationaux. Le discours est donc utilisé au travers de différents supports pour prouver sa propre place alors même qu’une concurrence est existante au sein de l’aide apportée lors de catastrophes « naturelles ». 

Bibliographie/Références

Alejandro, A. Laurence, M et Maertens, L. (2023). Discourse Analysis. Dans : Badache, F. Kimber, L. et Maertens, L, éd. International Organizations and Research Methods: An Introduction. Ann Arbor : The University of Michigan.

Katoch, A. (2006). The responders’ cauldron: The uniqueness of international disaster response. Journal of International Affairs, vol. 59, n° 2, pp. 153-172. 

Louis, M. et Maertens L. (2021). Why International Organizations Hate Politics: Depoliticizing the World. Londres : Routledge [en ligne]. Disponible à : <https://directory.doabooks.org/handle/20.500.12854/64271.

Revet, S. (2009a). Les organisations internationales et la gestion des risques et des catastrophes « naturels ». Les études du CERI, vol. 157, pp. 1–30. 

Revet, S. (2009b). Vivre dans un monde plus sûr. Cultures & Conflits, n° 75, pp. 33-51.

Revet, S. (2011).  Penser et affronter les désastres : un panorama des recherches en sciences sociales et des politiques internationales, Critique internationale, vol. 52, no. 3, pp. 157-173.Petiteville, F. (2021). Les organisations internationales. La Découverte. Disponible à : < https://doi.org/10.3917/dec.petit.2021.01 >

Vinhas, S. (2014). La sécurité des humanitaires en question. Humanitaire. Enjeux, pratiques, débats, n° 37, pp. 74-85. Disponible à : < http://journals.openedition.org/humanitaire/2916 > [Consulté le 17 mars 2023].

Pour citer ce document :
Anaïs Noé, "Intervenir lors d’une catastrophe “naturelle”. Stratégies discursives des organisations internationales : légitimer les interventions post-catastrophe « naturelle »". Journal du multilatéralisme, ISSN 2825-6107 [en ligne], 03.10.2023, https://observatoire-multilateralisme.fr/publications/intervenir-lors-dune-catastrophe-naturelle/