Remise du Prix Sakharov à Aung San Suu Kyi par Martin Schultz au Parlement européen à Strasbourg le 22 octobre 2013. Claude TRUONG-NGOC / Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0.
Une figure politique birmane controversée
Natacha Lecourt est étudiante au sein du master Paix, action humanitaire et développement de Sciences Po Lille, spécialisé dans l’étude de la gestion de conflits et des questions de développement.
Aung San Suu Kyi est une femme politique birmane. Elle est née le 19 juin 1945, en Birmanie, à Rangoun. Elle est une figure importante de la communauté internationale pour la lutte non violente qu’elle a menée contre la dictature de son pays. En 1991, pour ces raisons, elle a reçu le prix Nobel de la paix. Aujourd’hui controversée, elle a été condamnée à un total de 33 années de prison.
L’influence de l’engagement politique de ses parents
Aung San Suu Kyi a grandi avec deux figures politiques birmanes importantes comme parents. Sa mère, Khin Kyi, fut la première femme à être nommée ministre en Birmanie et la première femme ambassadrice de Birmanie. Quant à son père, Aung San, il était un général qui participa aux négociations avec les Anglais pour l’indépendance de la Birmanie. Il est assassiné en 1947. L’indépendance de la Birmanie est déclarée le 4 janvier 1948.
Ayant mené le début de ses études en Birmanie, Aung San Suu Kyi quitte finalement le pays pour l’Inde. Après le lycée, elle intègre Oxford, où elle étudie la philosophie, la politique et l’économie. A la suite de cela, elle rejoint New York où elle obtient un poste de secrétaire assistante du comité des questions administratives et budgétaires à l’ONU.
De son combat contre la dictature de Ne Win au coup d’Etat qui la fera tomber
Sa carrière politique commence en 1988 lorsqu’elle retourne en Birmanie pour s’occuper de sa mère, malade. A cette époque, de nombreuses manifestations en faveur de la démocratie ont alors lieu. Le pays n’a pas connu de période démocratique directement après son indépendance en 1948. Le général socialiste Ne Win est premier ministre depuis son coup d’État militaire en 1960, par lequel il instaure un pouvoir autoritaire dans le pays. Les manifestations de 1988 ont lieu en réaction à ce régime. Suite à ces événements de contestation populaire, Ne Win démissionne, et c’est l’armée qui prend le pouvoir.
C’est pendant cette période historique qu’Aung San Suu Kyi, soucieuse d’amener les droits humains et la démocratie au pouvoir en Birmanie, crée en 1988 la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) pour s’opposer à la dictature en place. Elle lancera par la suite des mouvements de grève dans tout le pays, puis sera assignée à résidence pendant six ans par la junte militaire au pouvoir. Les soutiens internationaux et nationaux se multiplient, faisant d’elle une véritable figure œuvrant pour la démocratie. Grâce à la pression exercée par la communauté soutenant la détenue, des élections libres sont organisées en 1990. Comme Aung San Suu Kyi ne peut pas y participer, la LND refuse de faire siéger des membres prodémocratie au Parlement. En 2012, après 15 ans assignée à résidence, elle devient députée. Elle devient ensuite cheffe du gouvernement de 2016 à 2021. Elle est renversée du pouvoir par un coup d’État militaire début février 2021.
La reconnaissance internationale d’abord…
Son engagement total pour la démocratie et les droits humains lui a valu une reconnaissance de la part de la communauté internationale. Elle a reçu une quinzaine de prix pour son travail, notamment le prix Sakharov en 1990, la médaille présidentielle de la Liberté américaine en 2000, le prix Ambassadrice de la conscience par Amnesty International en 2009 ou encore la légion d’honneur française en 2012. Elle a publié des ouvrages tels que Résistances, avec Stéphane Hessel et Ma Birmanie, avec Alan Clements. Son œuvre met en lumière les différentes facettes du pouvoir birman, mais aussi l’importance de la coopération entre les Etats. Aussi, la communauté politique s’est souvent mobilisée pour sa libération. De nombreux appels ont été lancés comme celui de l’ancien secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon. 57 anciens dirigeants ont également rédigé une lettre en 2007 pour demander sa libération. L’engagement de ces hommes politiques et des grandes organisations internationales montrent sa place internationalisée dans la géopolitique mondiale et la coopération de ces derniers pour soutenir sa libération.
… la controverse ensuite
Néanmoins, sa posture silencieuse et ses actions concernant le génocide de la minorité musulmane des Rohingyas ont été vivement critiqués, et cela par une majorité de la communauté internationale. En 2016, l’ONU sort un rapport qui implique la Birmanie dans des persécutions par les bouddhistes et les autorités birmanes. En 2017, la crise empire et plus de 800 000 rohingyas sont forcés de fuir au Bangladesh. La Cour Internationale de Justice accuse alors cet Etat de crime contre l’Humanité. En 2019, Aung San Suu Kyi nie l’implication de l’Etat dans ce génocide, et perd tous ses soutiens à cause de son inaction. Elle déclare que les informations à ce propos étaient “un iceberg de désinformation”.
Ainsi, elle perd quatre de ses prix, dont ceux de citoyenne d’honneur de Paris et du Canada, celui d’Ambassadrice de la conscience d’Amnesty, et le prix Elie Wiesel. Elle fut ensuite arrêtée pour d’autres crimes, notamment pour fraude commerciale. Ce rejet de la part de la communauté internationale est révélateur des dynamiques à l’œuvre au sein du système international : si certains Etats ont manifesté leur désapprobation de manière ferme à l’égard des agissements de Aung San Suu Kyi, d’autres se sont vus contraints de feindre leur indignation, sous peine de froisser les Etats plus puissants.
Natacha Lecourt , "Aung San Suu Kyi. Une figure politique birmane controversée ". Portrait [en ligne], 05.05.2022, https://observatoire-multilateralisme.fr/publications/aung-san-suu-kyi/