Publication - OI

Sécurité environnementale en Afrique

Afrique
LE 16.05.2022

Policy paper - Problèmes, options politiques et recommandations concernant l'intégration régionale

Manuela Garcia Nyangono Noa

Docteur en Gouvernance et Intégration Régionale de l’Université Panafricaine et chercheur associé au Centre de Recherche d’Etudes Politiques et Stratégiques de l’Université de Yaoundé II. Ses travaux portent sur la sécurisation de l’environnement, le maintien de la paix et les politiques publiques internationales.

L’intégration africaine et la transnationalité de l’insécurité environnementale sur le continent ont modifié la manière avec laquelle les Etats africains s’approprient les problèmes d’intérêt commun et les résolvent. Pour cela, le dispositif régional de gouvernance environnementale a été conçu pour transformer des dynamiques qui organisent les relations internationales africaines, et pour adopter une vision commune sur l’environnement dans la cadre des institutions que ce dispositif consacre. Dans le but de montrer l’apport de la sécurité environnementale dans le renforcement de l’intégration régionale, ce papier présente les contraintes qui pèsent sur le dispositif panafricain de gouvernance environnementale et analyse les options politiques pour améliorer ce dispositif de manière à ce qu’il contribue au renforcement des liens entre Etats africains.

Contexte

Reconnaissant l’interdépendance qui les lie et l’incapacité de chacun d’eux à résoudre seul les problèmes auxquels ils font face, les Etats africains ont décidé de créer une communauté politique régionale dans le but de générer, dans le cadre d’une structure matérielle et idéelle, des identités et normes liées à une paix stable (Adler & Barnett, 1998). Pensée et mise en œuvre dans le cadre de l’Union Africaine (UA), l’intégration régionale peine cependant à décoller alors que la transnationalité des problèmes environnementaux et leur interdépendance avec divers aspects de la vie sociopolitique amplifient l’insécurité intra-étatique et interétatique à l’échelle  africaine. Elles requièrent une mutualisation des efforts en vue de la construction d’une forte communauté de normes, d’institutions, de pratiques formelles ou non, destinées à consolider durablement les relations interafricaines (Deutsch, et al., 1957). Cette situation résulte d’une part de l’absence de volonté politique des Etats dont les actions sont principalement orientées vers la consolidation des sentiments nationaux et la défense des intérêts étatiques. Par ailleurs, les problèmes de gouvernance et surtout la corruption limitent l’efficacité et l’efficience des politiques environnementales régionales de même que la capacité de ces politiques environnementales à renforcer l’intégration africaine.

Le Multilatéralisme Environnemental et la Construction de l’Intégration Africaine

Aborder la sécurisation de l’environnement en rapport avec l’intégration africaine vaut son pesant d’or dans un contexte caractérisé par la mondialisation et la démilitarisation de la sécurité. La transnationalisation des échanges et de l’insécurité environnementale requièrent des Etats la constitution de blocs politico-économiques régionaux capables de saisir et résoudre, dans des cadres multilatéraux, les problèmes d’intérêt communs. Toutefois, l’adoption et la mise en œuvre des politiques communes en Afrique restent entravées par les égoïsmes nationaux qui empêchent le renforcement du sentiment d’identification collective qui sous-tend le processus d’intégration (Wendt, 1999). La consécration de l’approche multilatérale dans le traitement des questions environnementales a été suivie de la création d’institutions régionales de gouvernance environnementale considérées comme multiplicateurs de puissance (Hoffmann, 1966). Partant du principe que le multilatéralisme environnemental peut favoriser l’intégration, le présent papier présente les problèmes liés aux politiques environnementales africaines et propose quelques options politiques à travers lesquelles la protection de l’environnement pourrait renforcer l’intégration régionale.

Problèmes Généraux des Politiques Environnementales Communautaires

D’emblée il faudrait rappeler que toutes les politiques conçues dans le cadre de l’UA sont destinées à renforcer les liens entre Etats africains en favorisant le processus d’intégration. Pour ce qui est des politiques environnementales, elles sont le résultat d’un processus de socialisation par lequel les Etats africains ont intériorisé les normes et valeurs environnementales dans le cadre des institutions qui participent au processus d’intégration régionale (Riutort, 2013). Une liste non exhaustive de contraintes qui pèsent sur les politiques environnementales africaines et qui réduisent leur apport dans le renforcement du processus d’intégration peut être dressée :

  • L’absence d’harmonisation entre les politiques communautaires et celles nationales qui rend les initiatives incohérentes et inefficaces. Ceci est dû au fait que ces dernières s’inscrivent dans des contextes sociopolitiques différents et s’appuient sur des modèles de gouvernance parfois divergents avec pour conséquence l’existence de légitimités, de normes et d’institutions parfois compétitives (Dahou & Weigel, 2005) ;
  • L’absence de volonté politique et la priorisation de ce qui est perçu comme intérêt national par les Etats en dépit des déclarations d’intentions en faveur d’une régionalisation des politiques environnementales. La dépendance des Etats et sociétés africaines vis-à-vis des ressources environnementales est l’un des facteurs explicatifs de cette situation et, couplée à la précarité socio-économique ambiante cette dépendance amplifie la compétition entre Etats pour le contrôle des ressources environnementales transnationales ;
  • L’insuffisance des mécanismes de suivi et évaluation des initiatives communautaires et les lourdeurs administratives qui réduisent l’apport des politiques environnementales communautaires dans le processus d’intégration ;
  • La faiblesse des politiques d’intégration sécuritaire due au fait que  les politiques sécuritaires et de défense communes restent prioritairement centrées sur les menaces militaires d’une part et ne prévoient pas des mécanismes répressifs transrégionaux de lutte contre la criminalité intrarégionale d’autre part ;
  • Les contraintes financières et logistiques qui empêchent une coordination efficace des politiques de lutte contre la criminalité transnationale au plan opérationnel ;

Partant de ces contraintes mais également du potentiel fédérateur des questions environnementales, les Etats africains doivent prendre appui sur le dispositif régional de gouvernance environnementale pour accélérer le projet communautaire en construction.

Renforcement de l’Intégration Africaine par la Sécurisation de l’Environnement

Le renforcement de l’intégration africaine par la protection de l’environnement s’est fait à travers la construction d’une culture de sécurité environnementale régionale définie ici comme un système de significations panafricainement partagées autour des questions environnementales (Pouliot & Lachmann, 2004). Le système de significations étant fondé sur l’identité négro-africaine qui lie les Etats africains, l’émergence de la culture de sécurité est donc déterminée par la construction d’une matrice intersubjective qui octroie aux Etats africains la capacité de construire de manière similaire les menaces auxquelles ils font face. A ce jour, ces Etats ont donc reconnu l’environnement comme un élément de l’identité panafricaine, ce qui a eu pour effet direct une identification collective à une détérioration du milieu et des conditions de vies qui ne se manifeste pas de manière identique dans tous les Etats mais dont ceux-ci partagent certains traits caractéristiques, certains enjeux, certains défis et certains effets de manière partielle (Freund, 1979).

La deuxième réalisation a été la mise sur pied d’un groupe de négociateurs africains sur le climat. C’est un groupe d’appartenance supranational dont la mission est de coordonner et d’harmoniser les positions africaines sur le changement climatique. Il organise les interactions à travers lesquelles s’effectue l’acquisition de normes et valeurs collectives dans le cadre d’un dispositif régional formel de gouvernance environnementale. Parallèlement, le Programme de Surveillance de l’Environnement pour un Développement Durable en Afrique (AMESD) ou encore le programme Surveillance de l’Environnement et de la Sécurité en Afrique  (MESA) on été créés par la Conférence Ministérielle Africaine sur l’Environnement pour une appropriation intégrée des problèmes environnementaux. Par la suite, ces Etats ont consacré les institutions régionales (Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement sur le Changement Climatique, Comités Techniques Spécialisés, Centre Africain de Politiques Climatiques…) et sous régionales (centres climatiques régionaux, commissions et autorités de bassins, Comités de Gestion des écosystèmes) comme espaces de fabrication de sens, de perceptions et représentations communes sur la sécurité de l’environnement.

Ce dispositif régional de gouvernance environnementale a favorisé le développement d’une identité régionale et la superposition de cette identité aux structures nationales facilitant ainsi la légitimation des politiques communautaires. Il a également consacré des procédures de décisions fondées sur l’ajustement des points de vue, la coexistence pacifique et le respect mutuel des identités sociales propres à chaque Etat. Par ailleurs, ces Etats ont reconnu cette architecture régionale comme espace multilatéral de fabrication des normes devant réguler les relations entre eux tout en assignant leur assignant des rôles précis dans la défense des intérêts collectifs sur les questions environnementales (Barnett, 1998). De plus, les Etats en Afrique, à travers l’Architecture de Paix et Sécurité de l’Union Africain, ont  convenu de traiter les menaces à leur sécurité de la même manière sur la base des liens qui les unissent partant de l’idée que la sécurité d’aucun d’eux n’est possible en dehors de celle des autres (Buzan, 1991). Ceci s’est fait à travers:

  • La construction d’une rhétorique discursive sur l’environnement au sein des institutions régionales d’intégration et qui permettra aux Etats africains de se définir par rapport au monde extérieur ;
  • La poursuite et la redynamisation de l’institutionnalisation et la politisation des questions environnementales de manière à ce que la définition de la menace environnementale et les réponses institutionnelles soient en accord avec les objectifs d’intégration régionale;
  • L’élaboration d’un projet commun de sécurité qui a permis la construction d’un système de sens commun, formaliser les dynamiques politico-identitaires qui sous-tendent le processus d’intégration et enfin la création d’un cadre institutionnel collectif de riposte

L’Amélioration de la Gouvernance Environnementale comme Facteur d’Intégration

Cette amélioration est possible à travers un plan stratégique qui a pour but la construction d’un ordre politique régional stable. Cette stabilité n’est possible qu’à travers la transformation des intentionnalités et interactions entre Etats africains par des modes de règlement des conflits qui consolident les dynamiques coopératives en annulant le recours à la force comme option dans les relations interafricaines (Pouliot & Lachmann, 2004). Ce plan stratégique doit être construit autour de plusieurs axes d’intervention:

  • Le premier axe d’intervention c’est la coordination des politiques étatiques générales et sectorielles à travers le multilatéralisme. Cette coordination permettra d’inhiber durablement la conflictualité intrarégionale tout en augmentant les capacités de projection internationales des Etats, leur influence, leur sécurité et leurs conditions économiques à long terme ;
  • Le deuxième axe concerne la gouvernance multi niveaux qui doit mettre l’accent sur le respect des compétences au sein de chaque échelle de gouvernance, l’interconnexion entre les institutions de sécurité environnementale régionales et nationales et l’application du principe de subsidiarité, le but étant de penser et construire un système politique et social de plus en plus intégré au niveau régional (Saurugger, 2010) ;
  • En troisième lieu on peut citer la transformation des dynamiques politiques et institutionnelles et la légitimation des pratiques de sécurité environnementales par les Etats. Ceci permettrait de pacifier l’ordre régional africain par la mise en avant des avantages dont pourraient bénéficier les Etats en s’impliquant dans le processus panafricain d’intégration régionale ;
  • Enfin la formalisation des intérêts écologiques durables entre Etats africains doit être motivée par l’existence d’un sens de responsabilisation et d’obligation des uns vis-à-vis des autres dans le cadre des institutions régionales de gouvernance environnementale
Bibliographie/Références

Adler, E., & Barnett, M. (1998). security communities in. Cambridge: Cambridge University Press.

Barnett, M. N. (1998). Dialogues in Arab politics: . New York: Columbia University Press.

Buzan, B. (1991). People, States and Fear: an Agenda for International Security Studies in the Post-Cold War Era (2e édition ed.). Boulder : Lynne Rienner Publishers.

Dahou, T., & Weigel, J.-Y. (2005). La gouvernance environnementale au miroir des politiques publiques: le cas des aires protégées ouest-africaines. Afrique contemporaine , 1 (213), 217-231.

Deutsch, K., Burel, S. A., Kann, R. A., Lee Jr, M., Lichterman, M., Lindgren, R. E., et al. (1957). Political Community and the North Atlantic Area: International Organization in the Light of Historical Experience. Cambridge: Princeton University Press.

Freund, J. (1979). Petit essai de phénoménologie sociologique sur l’identité collective. In J. Beauchard (Ed.), Identités collectives et travail social (pp. 65-91). Paris: Privat.

Hoffmann, S. (1966). Obstinate or Obsolete? The fate of the Nation-State and the case of western Europe. Deadalus , 93 (3), 862-915.

Pouliot, V., & Lachmann, N. (2004). Les Communautés de sécurité: vecteurs d’ordre régional et international. Revue internationale et stratégique , 2 (54), 131-140.

Riutort, P. (2013). La socialisation: Apprendre à vivre en société. In Premières leçons de sociologie (pp. 63-74). Paris: Presses universitaires de France.

Saurugger, S. (2010). Gouvernances. In S. Saurugger (Ed.), Théories et concepts de l’intégration européenne (pp. 227-254). Paris: Presses de Science Po.

Wendt, A. (1999). Social Theory of internationals politics. Cambridge: Cambridge University Press.

 

Pour citer ce document :
Manuela Garcia Nyangono Noa, "Sécurité environnementale en Afrique. Policy paper - Problèmes, options politiques et recommandations concernant l'intégration régionale". Journal du multilatéralisme, ISSN 2825-6107 [en ligne], 16.05.2022, https://observatoire-multilateralisme.fr/publications/securite-environnement-et-integration-africaine/