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La pollution des orbites par les débris spatiaux

LE 01.09.2023

Rendu 3D de débris spatiaux autour de la planète Terre, © Frame Stock Footage / Shutterstock

La congestion des orbites basses par les débris spatiaux, défi ou opportunité pour le multilatéralisme spatial ?

Arthur Belaud

Chargé de mission Science et Innovation à l’Ambassade de France au Royaume-Uni

Ce texte a été rédigé à la suite de la séance du 01/06/2023 du séminaire de recherche du GRAM (groupe de recherche sur l’action multilatérale), dédié depuis 2015 à l’étude du multilatéralisme et des organisations internationales.

Depuis le début de l’âge spatial (1957), le multilatéralisme a permis des avancées remarquables dans ce secteur, de l’adoption du Traité de l’Espace (1967) à la mise sur orbite de la Station Spatiale Internationale ou du James Webb Space Telescope. Les satellites sont aujourd’hui indispensables à un grand nombre d’activités sur Terre (opérations militaires, activités de renseignement, surveillance du changement climatique ou encore transactions bancaires), augmentant sensiblement la dépendance des États et des sociétés aux moyens spatiaux.

Le modèle de coopération qui sous-tendait jusqu’alors l’utilisation de l’espace est remis en cause par deux mutations profondes des activités spatiales : d’une part, la multiplication des acteurs (en raison de la baisse du coût de l’accès à l’espace) ; d’autre part, l’arsenalisation croissante de l’espace, qui fait peser un risque de guerre. Mais une autre menace, d’ordre environnemental, pèse sur l’usage de l’espace et commence à constituer une priorité pour l’agenda multilatéral : la pollution des orbites par les débris spatiaux.

Quelques chiffres sur l’état de la population orbitale 

Environ 15 000 satellites ont été lancés depuis 1957. Jusqu’à 2015, il y avait entre 100 et 200 satellites lancés par an. Depuis, l’accélération est exponentielle : plus de 500 nouveaux satellites en 2019, plus de 1 000 en 2020, plus de 2 000 en 2021, plus de 2 500 en 2022 ! Cela s’explique par l’arrivée des « constellations » lancées par des opérateurs privés : sur les 9 000 satellites actifs, 3 200 appartiennent à l’entreprise américaine Starlink de Elon Musk. Et cette tendance va se poursuivre : au moins 20 000 nouveaux satellites seront mis en orbite d’ici la fin de la décennie 2020 (certaines projections estiment ce nombre à 100 000), en majorité déployés en orbite basse, entre 500 et 700 kilomètres au-dessus de nous.

À côté de ces satellites orbitent des débris : satellites inactifs, étages de lanceurs, morceaux de satellites arrachés par des fragmentations ou des collisions. D’après les estimations statistiques de l’Agence Spatiale Européenne, on compte aujourd’hui 40 000 débris de plus de 10cm, 1 million de débris de plus d’1cm, 130 millions de débris de plus d’1mm. Or à partir d’1cm, les débris sont dits « létaux » car aucun blindage de satellite ne leur résiste : une collision à 10km/s peut causer la perte immédiate du satellite. Actuellement, on estime que seulement 30 000 objets sont correctement identifiés et catalogués (satellites actifs et débris compris). Même en arrêtant dès à présent tous les lancements de satellites, cette population de débris continuerait de croitre irrémédiablement, du fait des collisions et fragmentations des débris actuels.

La situation est donc doublement inquiétante. On constate, d’une part, un accroissement continu du trafic spatial. D’autre part, les débris spatiaux sont de plus en plus nombreux et leurs trajectoires demeurent souvent inconnues. Cela constitue à la fois un risque immédiat d’accident pour les satellites en orbite et un risque à long terme d’inaccessibilité de l’orbite basse.

Un satellite ordinaire en orbite basse fait environ une dizaine de manœuvres d’évitement de collision par an. Ces manœuvres sont essentiellement possibles grâce aux données publiées par l’armée américaine qui gère le réseau de surveillance spatiale des États-Unis (United States Space Surveillance Network, USSSN), un réseau de centaines de radars scannant le ciel en permanence pour détecter les objets spatiaux, recalculer en temps réel leurs trajectoires et envoyer des alertes aux opérateurs de satellites. Ce système ad hoc, dont le monde entier dépend, permet d’éviter la majorité des collisions. Cependant, ce dernier peut rapidement devenir obsolète pour diverses raisons :

  • Des collisions accidentelles ont déjà eu lieu, comme ce fut le cas en 2009 entre Kosmos 2251 – Irridium 33, incident qui a généré des milliers de nouveaux débris.
  • Les capteurs de l’US Space Force ne détectent pas les objets en dessous de 10 cm.
  • Le protocole dépend de la capacité des opérateurs de satellites à effectuer correctement des manœuvres.
  • Ce système fonctionne par définition seulement pour des satellites actifs. Des collisions entre débris ont déjà lieu, créant constamment de nouveaux débris.
  • On peut aussi envisager que les États-Unis cessent de fournir ce service, ou cessent de le fournir gratuitement.
  • Des scénarios d’actes offensifs (tirs antisatellites, collisions délibérées…) doivent être envisagés.

Plusieurs puissances spatiales (Russie, Chine, Inde, Union Européenne…), conscientes des incertitudes qui pèsent sur ce système, cherchent à acquérir leurs propres capacités souveraines de « Space Situational Awareness » (SSA) mais restent encore extrêmement dépendantes des donnes américaines. La tendance actuelle est à la multiplication des sources de données. La « fusion » et le partage de ces données restent néanmoins insuffisants à l’heure actuelle.

Quelle place pour la coopération multilatérale ?

Le sujet des débris spatiaux alarme la communauté spatiale mondiale que l’armée chinoise a procédé, en 2007, à un essai d’arme antisatellite contre un de ses satellites inactifs à 700km d’altitude (Fengyun 1-C), créant des milliers de nouveaux débris, qui sont toujours en orbite 15 ans plus tard et causent chaque jour des centaines d’alertes de collision. D’autres essais antisatellites ont eu lieu depuis : l’Inde en 2019, la Russie en 2021.

Quelques régulations internationales visant à partager l’environnement spatial existent :

  • L’Orbite Géostationnaire (GEO), située à 36 000 km d’altitude est bien régulée : L’Union Internationale des Télécommunications (IUT) est la seule à accorder des positions et des fréquences sur cette orbite, et les satellites sont surveillés de près par des réseaux de télescope pour s’assurer de leur positionnement précis et de l’absence de débris. En revanche, en orbite basse (beaucoup plus proche), entre 300 et 700km d’altitude, où se trouve l’immense majorité des satellites, il n’y a aucun « code de la route spatial ».
  • Le sujet des débris et de la sécurité des satellites a été mis à l’agenda pour la première fois en 1994, à l’ONU, par le Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (United Nations Committee on the Peaceful Uses of Outer Space, COPUOS). Le processus a abouti par l’adoption, en 2004, des Space Debris Mitigation Guidelines par ce même comité, soit des « bonnes pratiques » pour limiter la production de nouveaux débris élaborées conjointement par une dizaine d’agences spatiales.
  • On retrouve certaines de ces recommandations transposées dans le droit national.À titre d’exemple, la France a ouvert la voie en 2008, dans sa Loi sur les Operations Spatiales (LOS), en rendant obligatoire les manœuvres de désorbitation en fin de vie, pour ne pas laisser les satellites « morts » en orbite. Des normes ISO ont aussi été élaborées par les fabricants de satellites pour assurer la sécurité de la navigation ou la manœuvrabilité des satellites.

Ces derniers mois, le sujet des débris spatiaux et du Space Trafic Management a été relancé dans plusieurs enceintes multilatérales :

  • En Novembre 2022, les États-Unis ont fait approuver, par la Première Commission de l’Assemblée Générale de l’ONU, un projet de résolution (A/C.1/77/L.62) appelant à l’interdiction des essais d’armes antisatellites qui produisent des débris.
  • Le 12 mai 2023, les ministres en charge des sciences et technologie du G7 ont signé un communiqué conjoint rappelant l’importance d’assurer « un usage sûr et durable de l’espace ». Le communiqué propose deux mesures : le partage des bonnes pratiques en matière de surveillance de l’espace et l’application universelle des Space Debris Mitigation Guidelines.
  • Le 23 mai 2023, le Conseil de l’Union européenne a adopté des « conclusions pour un usage juste et durable de l’environnement spatial ». En particulier, la nécessité d’une stratégie européenne pour la Gestion du Trafic Spatial est soulignée. Le Conseil demande, dans ces conclusions à la Commission européenne, de préparer des règlements sur la sécurité spatiale qui s’appliqueront à tous les satellites commercialisant des services sur le marché européen.

Cependant, tout cela constitue surtout des déclarations d’intention et peu de normes contraignantes. La volonté politique se heurte à des tendances de fond qu’il semble difficile d’endiguer : le déploiement des constellations, l’arrivée de satellites de plus en plus low cost et peu manœuvrables, la multiplication du nombre d’opérateurs qui rend difficile la coordination et enfin le risque croissant de manœuvres militaires hostiles dans l’espace qui pourraient aggraver la situation.

La question des débris spatiaux oblige à considérer l’environnement spatial ou, plus précisément, les orbites terrestres basses comme une ressource naturelle partagée et limitée. La création continue de nouveaux débris et l’encombrement des orbites peut conduire à un scénario de saturation de certaines orbites qui deviendraient complètement inhospitalières (syndrome de Kessler). Cela restreindrait considérablement l’accès à l’espace et priverait durablement l’humanité des bénéfices de ces technologies. Des parallèles évidents peuvent être dressés avec les émissions de gaz à effets de serre, pour lesquelles la responsabilité est partagée, tout comme le sont les conséquences, à ceci près que, dans l’espace, ceux qui ont le plus à perdre de la saturation des orbites ne sont pas les puissances spatiales émergentes mais les puissances spatiales établies, et tout particulièrement les armées qui n’ont aucun intérêt à évoluer dans un environnement dégradé et très difficilement navigable.

On peut ainsi être optimiste en considérant que l’impératif d’assurer la sécurité de la navigation est un point de convergence entre les acteurs privés, les États, les armées, qui ne peuvent pas risquer de perdre accidentellement leurs satellites ou rendre les orbites inaccessibles, pour des raisons économiques comme pour des raisons de souveraineté. Pour combien de temps encore le statu quo est-il tenable ? Faudrait-il envisager une COP pour l’environnement spatial ? Faudrait-il une nouvelle organisation internationale spécialement consacrée à cette question ? Faudrait-il lier la question des débris à celle du désarmement spatial ? Ces questions restent ouvertes et ne pourront trouver de réponse que dans un cadre multilatéral.

Pour citer ce document :
Arthur Belaud, "La pollution des orbites par les débris spatiaux. La congestion des orbites basses par les débris spatiaux, défi ou opportunité pour le multilatéralisme spatial ?". Décryptage de l'actualité [en ligne], 01.09.2023, https://observatoire-multilateralisme.fr/publications/la-pollution-des-orbites-par-les-debris-spatiaux/