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Denis Mukwege

LE 31.05.2023

Denis Mukwege par Claude Truong-Ngoc novembre 2014. Claude TRUONG-NGOC / Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0.

L'homme qui répare les femmes

Sarah Chaumeil

Sarah Chaumeil est étudiante au sein du master Paix, action humanitaire et développement de Sciences Po Lille, spécialisé dans l’étude de la gestion de conflits et des questions de développement.

Mots clés :  Portrait   Afrique   droits humains   femmes   Santé 

Denis Mukwege est un gynécologue congolais qui mène une activité militante auprès des acteurs et organisations internationales pour alerter la communauté internationale sur le viol comme arme de guerre en zone de conflit. 

Il est né en 1955 à Bukavu, capitale du Sud-Kivu en République démocratique du Congo. S’il s’oriente vers une carrière de médecin en obtenant son diplôme à la faculté de médecine de Burundi en 1976, il ne projette pas de se spécialiser spécifiquement sur la réparation des corps des femmes victimes de violences sexuelles. Il se spécialise en gynécologie obstétricienne en 1983 à l’université d’Angers. Après ses études, il décide de retourner en République Démocratique du Congo (RDC), à l’hôpital Lemera dans l’Est du pays. Il y devient médecin directeur. Cet hôpital est détruit au moment de la première guerre du Congo (1996-1997). Il décide alors de rester en RDC et lance la construction de son hôpital à Panzi.

La construction de l’hôpital de Panzi, un tournant dans l’engagement de Denis Mukwege

La fondation de l’hôpital de Panzi marque le début de l’engagement de Denis Mukwege contre les violences sexuelles faites aux femmes en temps de guerre. La première patiente reçue est une femme présentant de graves blessures aux organes génitaux à la suite d’un viol. Il opère ensuite de nombreuses femmes et enfants, victimes de mutilations génitales à cause des viols collectifs utilisés comme arme de guerre. 

Depuis 1999, son hôpital a permis de soigner 85000 filles et femmes présentant des blessures gynécologiques dues à des violences. Celles-ci sont l’œuvre de groupes armés congolais, burundais, rwandais et des forces étatiques d’après Amnesty International. L’ampleur du phénomène démontre que le viol en zone de guerre est un fait systémique. C’est ce qui le pousse à vouloir en faire davantage pour les victimes de viol, en interpellant la communauté internationale.

Le multilatéralisme pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles

Il souhaite une réponse multilatérale pour lutter contre le viol comme arme de guerre. Il appelle à une reconnaissance des victimes, de plus fortes et effectives sanctions contre les hommes coupables de ces exactions, des mesures plus fortes de la part du gouvernement de RDC…

Son engagement passe d’abord par son rôle de porte-parole international. Il porte en effet la voix de ses patientes et alerte sur la situation dans laquelle son pays est enlisé depuis plus de vingt ans. Il s’est rendu à New York pour la première fois en 2006 et est intervenu à la tribune des Nations-Unies pour dénoncer le génocide en cours en RDC. 

Son engagement passe aussi par la rédaction et la participation à de nombreux rapports et enquêtes. En 2010, le rapport du Projet Mapping par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme expose les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 en RDC. C’est une première tentative de reconnaissance du lien entre viols de masse, violences et manquements judiciaires. De plus, Denis Mukwege tient informé les antennes locales des agences onusiennes sur ce qui se passe sur le terrain. Par exemple, en 2002, il aide les chercheurs de Human Rights Watch à concevoir leur premier rapport d’importance sur le problème de l’extrême violence sexuelle au Congo, The War Within The War.

Enfin, Denis Mukwege peut être considéré comme une figure du multilatéralisme du fait des nombreuses récompenses qu’il a obtenues. Il obtient en 2008 le Prix des droits de l’homme des Nations unies. S’ensuivent, entre autres, le prix Right Livelihood en 2013 et le prix Sakharov par le Parlement européen en 2014. Il reçoit aussi en 2018 le Prix Nobel de la Paix, en même temps que Nadia Murad, femme yézidie victime de la traite des êtres humains. A la réception de ce dernier, il rappelle le besoin de coopération internationale pour apaiser les tensions et les violences en RDC.

Il lance également un projet de fonds international pour les survivantes de violences sexuelles approuvé en avril 2019 par les grandes puissances mondiales au sein de la résolution 246.

« Il n’y a pas de paix durable sans justice »

Son travail a permis l’adoption en 2009 de la résolution 1881 par le conseil de sécurité de l’ONU, qui instaure la création du Bureau de la représentante spéciale du secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles en période de conflit. L’année suivante, sept résolutions complémentaires sur la question de la sécurité des femmes et les violences sexuelles dans les conflits sont adoptées. En 2014, se déroule le premier sommet mondial pour mettre fin aux violences sexuelles dans les conflits regroupant experts, survivantes et décideurs politiques.

Mais il est difficile de maintenir les droits des femmes en première ligne de l’agenda international. Denis Mukwege plaide, pour la RDC, la création d’un Tribunal pénal International. Les premiers tribunaux internationaux avaient permis de grandes avancées. Le Tribunal pour l’ex Yougoslavie avait notamment permi la reconnaissance du viol comme crime de guerre et crime contre l’humanité. Au Rwanda, le Tribunal pénal International en 1995 a permis d’établir une jurisprudence sur les poursuites possibles pour viol par la loi internationale. Pour Denis Mukwege, la création d’un tribunal comme ces derniers serait une avancée majeure pour lutter contre le viol comme arme de guerre en RDC. 

Pour citer ce document :
Sarah Chaumeil , "Denis Mukwege. L'homme qui répare les femmes". Portrait [en ligne], 31.05.2023, https://observatoire-multilateralisme.fr/publications/denis-mukwege-2/